C'est le quatrième long-métrage d'Arthur Penn, après Le Gaucher, Miracle en Alabama et Mickey One. Et c'est l'un des films précurseurs de ce qu'on appellera le Nouvel Hollywood. Ce néo-western, tout en violence latente puis explosive, d'une lenteur étouffante, porte l'une des critiques les plus virulentes du cinéma US à l'égard de la société US, de l'Amérique profonde, représentée ici par une petite ville du Texas : racisme ordinaire et autres préjugés stupides, pouvoir de l'argent comme force corruptrice, vulgarité et bêtise d'une populace blanche qui ne pense qu'à s'amuser en se gavant d'alcool et d'adultère. Et surtout : vil instinct grégaire, terrifiante mécanique des foules qui révèle la "sauvagerie des honnêtes gens" (pour reprendre une expression d'un film de Georges Lautner, Le Septième Juré). Et là, on dépasse les frontières états-uniennes pour toucher malheureusement à quelque chose d'universel, une nature humaine pétrie de peur, d'intolérance et de violence.
Arthur Penn structure son propos autour deux personnages clés : celui de Bubber Reeves (Robert Redford), bad boy au mauvais destin, bouc-émissaire, malheureux loser qui a déjà presque tout perdu (sa liberté, sa femme...) avant de perdre le peu qui lui reste ; et celui du shérif Calder (Marlon Brando), droit dans ses bottes, qui tente de faire respecter l'ordre, mais qui demeure bien seul et faible face au rouleau compresseur d'une furie collective (en témoigne la dérouillée d'anthologie qu'il reçoit dans son bureau). Cet autre loser, par ses fonctions sociales, incarne à lui seul la déroute d'un Pays où l'on ne peut, semble-t-il, avoir foi ni dans le droit ni dans la justice. Constat noir, amer et profondément pessimiste. Comme une antithèse d'un grand film de studio hollywoodien. Étonnant. Arthur Penn n'a toutefois pas pu aller jusqu'au bout de son projet. Le montage du film lui a échappé, confisqué par le producteur Sam Spiegel. Selon des propos repris par Jean Tulard dans son Guide des films, le réalisateur aurait voulu donner à cette Poursuite impitoyable "une allure, un rythme, un style bien différents", et l'a donc partiellement désavouée. Le résultat final n'a pourtant rien d'un sabotage et demeure puissant ; il constitue même, paradoxalement, l'un des meilleurs films de son auteur. Son final chaotique, notamment dans le cimetière automobile, est mémorable. Et la qualité de l'ensemble doit également beaucoup aux dialogues (adaptés d'une pièce de Horton Foote) : épurés, précis, avec ce qu'il faut de causticité et de cynisme. Des mots parfaitement cinglants dans la bouche d'un Marlon Brando des grands jours, tout en nonchalance dégoûtée, colère noire et visage monstrueusement tuméfié.