Qui aurait pu croire une seconde que deux majors viendraient à joindre leurs idoles dans un même plan ? Le fantasme de trouver Bugs Bunny et Mickey Mouse dans un acte complice est pourtant une anecdote dans ce que le film raconte, par la grâce d’une animation crayonnée, qui prend vie aux côtés de comédiens de chairs et d’os. Il s’agit d’une dualité que soutien Steven Spielberg, producteur régnant en maître à Hollywood et qui lance Robert Zemeckis (À la poursuite du diamant vert, Retour vers le Futur) dans un défi à la hauteur de leurs ambitions. Avec l’appui précieux de l’animateur Richard Williams, le trio cherche à faire cohabiter des univers et des personnages que tout oppose naturellement, mais dans les lois cinématographiques, il s’agit de tordre quelques contraintes pour en tirer un divertissement haut en couleur, perçu comme un objet unique, aussi bien par le jeune public que par leurs aînés.
Quelle est donc la finalité derrière toute cette tambouille de droits ? Cela ne tient qu’à des principes simples, à mi-chemin entre le cartoon et le film noir, tout est restant dans une cohérence bluffante et folle d’amusement. Et elle a bien raison la pétillante Jessica Rabbit, femme du principal intéressé Roger, dont on souhaite museler jusque dans sa tombe, il nous fait rire. N’est-ce pas là toute la force de cette animation, destinée à provoquer de la sympathie, tout en émiettant une morale pour le jeune public ? Cette fois-ci, Zemeckis n’hésite pas à multiplier ses niveaux de lecture, avec une dextérité guidant le spectateur dans les studios d’Hollywood, afin d’exposer à chaud un mal-être qui entrave le passé de communiquer avec son propre héritage. C’est un tandem qui ne semble pas convenir à tout le monde, au risque de choquer, mais au profit d’un portefeuille qui n’a aucune limite à son appétit. Le duo du réel et de la fiction animée rend cette aventure plus surprenante, sachant les révolutions techniques et un discours généreux de cinéphiles, qui regardent vers l’avenir, en tirant chaque élément qui l’a forgé l’accompagner dans un monde sans frontière.
Eddie Valiant (Bob Hoskins), détective dépressif et alcoolique, a plus d’une raison pour renier les Toons. Mais dans sa personnalité nuancée, il existe du bon, qui n’échappe pas au deuil de son frère et associé. Comme Roger, il est en marge de la société qui abuse de son service, dans le but de mettre la main sur un testament qui a autant une valeur symbolique que sentimentale pour les parrains du projet. Tout cela se joue dans l’interaction entre le Toon et l’homme déchu, pour enfin parvenir à briser le quatrième mur et un autre, qui obstruait la passerelle entre deux imaginaires. L’un ne va pas sans l’autre, car l’un a besoin de l’autre. C’est de la complémentarité au premier degré, dont chaque héros devra accepter et accepter une part de soi, cachée dans le passé ou dans la manière dont ils ont été conçus. À l’opposé, nous rencontrons le juge Doom (Christopher Lloyd), un chasseur de tête maléfique, cherchant à effacer le vieux pour du neuf à coup de dissolvant. Lui également doit faire face à son passé, qui le hante d’une certaine façon et qui ne trouvera la paix, qu’en laissant tomber le masque de la terreur.
Dès lors, nous aimerions croire qu’il s’agisse d’un pur cartoon, car les codes se croisent intimement, notamment ceux qui sont à l’origine du genre noir, dans un Los Angeles délavé, sous l’emprise du crime, du sexe et de l’avidité. Ce sont autant de vices que l’on rencontre, mis en scène avec le double sens au plus proche de l’hommage, tout en exploitant son utilité dans ce format chimérique. « Qui veut la peau de Roger Rabbit ? », ou plutôt « Who framed Roger Rabbit ? » dans son titre original, définit le mieux les enjeux et la construction d’un récit à la gloire du 7ème art. Zemeckis, dans un geste convaincu, dessine l’état d’esprit d’un Hollywood qui en oublie son héritage, jusqu’à dévitaliser l‘environnement qu’il occupe, à commencer par la censure des couleurs et de l’artisanat, au profit de l’ère du numérique. C’est un calque qui change souvent de valeur lorsqu’on joue sur les perspectives et l’illusion, pourtant, il est toujours remarquable de penser et de constater que cette œuvre est loin de prendre une ride, à l’image de ses héros Toons, sacralisés dans le panthéon de l’éternel.