« 12 hommes en colère » est un huit-clos créé pour un programme télé puis adapté en pièce de théâtre en 1953 par Reginald Rose, avant d’être réalisé au cinéma par Sidney Lumet
Film de procès, son originalité est de nous ouvrir une fenêtre sur ce moment essentiel et confidentiel d’un procès : les délibérations, à porte close, du jury populaire.
Ici, l’enjeu est radical. Si le jury reconnaît la culpabilité du prévenu, la peine prononcée par le juge sera la peine de mort.
Car nous sommes bien aux États Unis et il ne faut pas s’attendre à la moindre remise en cause de la peine de mort. Dans une nation fondamentalement croyante, il n’est pas incompatible de voir une justice inspirée par la loi du talion, œil pour œil, vie pour vie.
Donc exit la critique de la peine de mort.
D’ailleurs, bien que Reginald Rose soit considéré comme un auteur traitant de sujets sociétaux, il s’assure de rester consensuel, télé oblige.
Le scénario se concentrera, en fait, sur l’humain et la recherche d’un consensus entre ces 12 hommes. Ici, aucune femme dans le jury populaire. En effet, à l’époque, aux Etats-Unis, un juge peut récuser arbitrairement un jury féminin s’il juge que la dame serait trop « embarrassée » à l’écoute des témoignages ou lors des délibérations (Ce ne sera qu’en 1994 que la Cour suprême américaine mettra fin à cette discrimination). Rose préfère donc mettre en scène un jury exclusivement masculin. La composition exclusivement caucasienne du jury vous à peut-être interpellé ? À l’époque c’est une question de réalisme. En 1953, les noirs ne sont pas admis dans le jury.
Donc exit la critique de l’égalité des droits et des sexes.
Nous voilà donc entre hommes caucasiens.
Dès le début la question suivante est posée : la culpabilité du prévenu est-elle certaine ou existe-t-il le moindre doute ? Là encore, le creuset culturel… La preuve hors de tout doute raisonnable Vs l’intime conviction française. D’un côté une justice empreinte de religion, convaincue de l’existence de vérités certaines (certitude de Dieu), vérité prouvable ici-bas. De l’autre une justice laïque qui s’exerce en l’absence de certitude, qui n’exprimera donc pas une vérité absolue mais une vérité relative, celle de la subjectivité, fonction de l’acte et de la personne à juger. Le poids des circonstances n’est donc pas le même.
En bon produit français, à la question, clef de voûte, du début du film - la culpabilité sans doute raisonnable - j’ai le sentiment par avance, que c’est impossible. Exit le suspens quant à la suite des événements…
Tendance récurrente du film américain, le film manque peut-être un peu de nuance.
D’abord le postulat de départ : tout accuse le suspect d’un crime doublement odieux (parricide). Il ne manque que les aveux. Difficile, à priori, de faire plus coupable.
Qu’à cela ne tienne, on démontrera que chaque élément accusateur, pris individuellement, peut donner lieu au doute et cela avec plus ou moins de doses hypothétiques et de raison.
Mais cela importe peu car le véritable sujet repose sur l’humain. Face à la justice, pensée théoriquement, c’est au final, l’humain, dans son entière imperfection, qui décide du sort de l’accusé et c’est à cet endroit que Rose fait mouche. Il a donc travaillé cet aspect en attribuant à chaque juré une véritable épaisseur et a soigné une représentation équilibrée de cette société caucasienne. Chaque juré possède son background culturel, un vécu et … ses ressentiments.
Là aussi, les postures initiales des jurés sont entières et abruptes, sans pour autant devenir invraisemblables. D’ailleurs Rose a été inspiré de sa propre expérience en tant que juré. Qu’y a t’il vécu ? Nul ne le sera vraiment.
Au fur et à mesure des débats et des votes, s’éclaire le sens du titre du film et sa véritable subtilité, car ces hommes sont « en colère ».
Bien que les débats puissent s’enflammer, la colère dont il est question ici est bien plus profonde. Il s’agit d’une colère intime, nourrie par les ressentiments de leur propre existence. Et l’on découvrira au fil du temps que c’est cette colère qui influence leur jugement.
Le scénario a été repris de nombreuses fois, tant au théâtre, qu’au cinéma et c’est peut-être cela qui est la marque d’un grand classique.
Une trame qui accompagne les évolutions de la société et un sujet central qui reste intemporel.
« 12 hommes en colère » deviendra « 12 femmes en colère ». Le jury sera un peu moins caucasien et un peu plus inclusif. Il y aura un remake en 2007 du réalisateur russe Nikita Mikhalkov oú l’accusé est un jeune tchétchène et même un remake indien et un autre chinois… le dénouement n’est pas acquis mais 12 restera le bon chiffre, de même que la colère, le moteur…