C’est une rue qui semble comme les autres, mais c’est une rue des plaisirs, honteuse, ou s’emmêlent les geishas qui sont toutes sans pareille. Réfugié dans les confins de la pudeur, « La rue de la Honte », le testament de l’un des plus grands. De l’un des plus grands des poètes, metteurs en scènes et réalisateurs de l’histoire du cinéma asiatique, Kenji Mizoguchi, un interprète de la vie, du quotidien, un grand parmi les tons gris qui façonnent sa filmographie.
Bizarrement, « La rue de la Honte » est probablement le film le plus encré dans l’univers du cinéaste, en ne se révélant que à travers les rapports humains que tissent ensemble ces femmes, leurs corps vulgairement hachés comme de la marchandise. Dans cette rue tumultueuse, les sentiments sont soigneusement rangés, ils sont éparpillés dans des situations misent en valeur par une réalisation d’une modernité considérable.
Les personnages gardent toujours leur dignité, leur caractère qui les définit en dehors de leurs destins respectifs. Et au coin de la rue apparaît toujours la tragédie, quelques séquences qui prêtent à rire, comme quand la femme de l’un des clients va remercier involontairement l’une des prostitués pour ses « services » auprès de son mari. Un contexte comique totalement bienvenu.
Et loin d’un comte qui prend de haut, « La rue de la Honte » donne aussi à prouver une énième fois le talent de son géni(teur), dans cette chronique d’un bordel, Mizoguchi se dépasse littéralement et dépeint une cruauté inouïe qui se cache derrière les rapports sociaux, la violence est crue, elle est verbale notamment, mais aussi moral, comme cet enfant qui abandonne sa mère en lui criant sa haine.
Ces femmes s’effacent, au même titre que Kenji Mizoguchi, qui s’éteint l’année même de la sortie du film à l’âge de 58 ans. Comme dira Jean Luc Godard « Le 24 août 1956 mourait à Kyoto le plus grand cinéaste japonais. Et même l'un des plus grands cinéastes tout court. Kenji Mizoguchi était l'égal d'un Murnau ou d'un Rossellini... Si la poésie apparaît à chaque seconde, dans chaque plan que tourne Mizoguchi, c'est que, comme chez Murnau, elle est le reflet instinctif de la noblesse inventive de son auteur ».