Tu sais que tu m’intimidais Ingmar ? Je l’ai fantasmé ton cinéma. Un cinéma d’auteur au propos indigeste. Une froideur venue tout droit de ton pays natal. Un pays natal aux longues nuits d’hiver et aux bourrasques glaciales qui ne pouvait que créer un cinéma triste, déprimant et austère, pensais-je alors. Mais bon… prenant mon courage à deux mains, il faut que je saute le pas. C’est un passage obligé. Et je dois dire que malgré l’appréhension il y a aussi un peu d’excitation. Ca y est, je vais le perdre mon pucelage. Je vais pouvoir jouer les fiers à bras auprès des potes. Je serai un cinéphile un vrai, l’égal de ceux qui l’ont déjà fait.
Je me lance. Je me déshabille timidement et toi, méchant Ingmar, tu commences par confirmer mes craintes. Un vieux médecin, une vieille gouvernante, un cauchemar morbide entre ville vide, horloge sans aiguille et cercueil qui tombe. Mon Dieu, dans quoi me suis-je embarqué ? Qu’est-ce que je dois faire ? Tout me semble maladroit. Le malaise s’installe.
Allez ce n’est pas grave. On persévère. Il faut lâcher prise. Je ne suis pas allé jusque-là pour abandonner maintenant. Ca serait dommage, le plus gênant est passé. Il faut juste que tu m’aides un peu, Ingmar. C’est alors que tu me prends par la main, que tu m’amènes en ballade. Tu joues les guides touristiques. Un petit road trip avec la belle Marianne bientôt rejointe par la vibrante Sara. Une colline par ici, un bois par-là. Une maison au bord d’un lac. Tu me montres où cueillir cette fameuse fraise sauvage.
Enfin tu m’absorbes et tu rythmes nos ébats. C’est toi qui mène et j’en suis heureux. Je me laisse porter, béat. Les scènes se succèdent, les émotions aussi. Tu alternes librement, au gré de tes envies mais en prenant bien soin de garder l’équilibre. Tantôt l’angoisse des cauchemars d’Isaac, tantôt la nostalgie de ses jours heureux. Tantôt la froideur d’une mère, tantôt la chaleur de Sara. Tantôt la bêtise des Alman, tantôt l’humanité de Marianne.
C’est finalement dans une explosion d’optimisme et d’amour que tout se termine. Et je dois le dire : tu m’as mis dans tous mes états. Il m’en a fallu du temps pour m’en remettre. C’est heureux de cette expérience, et non pour la gloriole ridicule que je pourrais en retirer, que je te quitte. Mais ne t’inquiète pas. Ce n’était pas un coup d’un soir. Ton cinéma et moi, nous nous reverrons.