Voici l'une des références absolues du cinéma d'action, et croyez-moi c'est peu de le dire. Piège de Cristal (de son petit nom Die Hard) appartient à ces rares élus sur lequel le temps n'a aucune prise, tant le film touche à la perfection dans tous les domaines. Si aujourd'hui, l'affirmation crève les yeux, à l'époque c'était loin d'être évident. Dans les années 80, l'horizon se résumait aux trognes d'Apollon testostéronés de Schwarzenegger ou Stallone. Les deux comédiens représentaient une sorte d'idéal masculin, quelque part entre la machine à tuer et le nounours en fonte. Qui voulait être le prolétaire aux pieds nus qui troque les muscles contre la langue bien pendue ? Qui voulait être Bruce Willis ? Le comédien excellait dans la série Clair de Lune mais de là à l'imaginer en rouleau compresseur qui dézingue du terroriste par pack de douze...Ça tombe bien, c'est justement l'idée : faire de Monsieur Tout-le-monde le héros du jour (en l'occurrence de la nuit).
John McTiernan continue sa déconstruction de la vaillance au masculin. Dans Predator, il filmait le massacre d'un commando d'hommes bien virils par une créature extra-terrestre à la face de vagin édenté. Dans Die Hard, il ôte les oripeaux de surhomme pour redonner à l'héroïsme un aspect ordinaire, plus vulnérable mais moins docile. À l'inverse de ses camarades musclés, John McClane n'est pas un véhicule idéologique glorifiant le système. Il est ce petit grain de sable qui enraye la machine, dévoile sa mécanique destructive et mensongère, pour finalement la subvertir. Dans Piège de Cristal, le flic new-yorkais doit non seulement lutter contre un bataillon armé jusqu'aux dents mais aussi composer avec une bureaucratie rongée par l'incompétence (sacré Dwayne Robinson), quand elle ne se laisse pas aveugler par la stupidité va-t'en-guerre. Ne parlons pas des médias qui sautent sur le premier incident pour s'adonner au sensationnalisme en se délestant de toute forme de morale. Aussi drôle que révoltant.
Indépendamment de ces considérations, le premier volet de la saga Die Hard est surtout une prouesse artistique de premier ordre. John McTiernan sait que l'espace est primordial pour définir une atmosphère. Sa mise en scène (toute en verticalité) en fait un élément central du récit, chaque élément de décor apparaissant simultanément comme un outil et une menace : les cages d'ascenseur, les conduits d'aération, le toit, les vitres, les tables,...L'objectif de Mctiernan cartographie le moindre cm² de terrain pour poser des règles qui changeront à chaque étage. Un appétit de jeu insatiable, permettant à l'intrigue de rebondir sans cesse. Si Predator jouait de sa jungle luxuriante pour donner une impression d'immensité étouffante où l'ennemi peut surgir de n'importe où, Piège de Cristal mise au contraire sur une partie de cache-cache en lieu clos, où le moindre recoins peut être aussi salutaire que dangereux. Les claustrophobes vont adorer.
Pour tenir la baraque (ou plutôt le building), il fallait aussi compter sur une distribution en titane. À eux-seuls, Bruce Willis et Alan Rickman transcendent les attentes. Le premier offre avec John McClane, l'un des plus grands héros du cinéma tout court (n'ayons pas peur des mots). Aussi charmeur que charismatique, Willis manie aussi bien l'humour que les armes, et dans les deux cas il fait de sacrés dégâts. De son côté, Rickman grossit la liste des plus beaux méchants du cinéma, en infusant à Hans Gruber un machiavélisme et une élégance irrésistibles. Pour l'anecdote, sachez qu'il s'agit de son premier rôle sur grand écran. Comme entrée, je crois qu'on peut difficilement faire plus fort.
Derrière ces deux bêtes de scène, il y a une pluie de seconds-rôles de première importance à saluer : Reginald VelJohnson, Paul Gleason, en passant par Hart Bochner, Bonnie Bedelia ou William Atherton.
Piège de Cristal est un grand huit qui enchaine action, tension, émotions sans jamais faiblir. Le film compte une demi-douzaine de séquences inoubliables (et je pèse mes mots). Le tout agrémenté de plusieurs répliques instantanément cultes. Qu'est ce que Die Hard ? Une date, tout simplement. Pour le cinéma d'action qu'il révolutionna en ringardisant les bourrinades de gentils musclors (vous voulez compter les erzats qui ont suivis ?), intronisa Bruce Willis au monde en édifiant McTiernan en tant que big boss du genre. Un chef d'œuvre qui n'a trouvé un égal qu'en 1995 avec...Une journée en Enfer, sa suite, bien différente mais tout aussi géniale. Ces deux films là sont les œuvres fondatrices du cinéma d'action de la fin des eighties jusqu'à aujourd'hui. C'est ce qu'on appelle du grand art.