illustrer une page légendaire de l’histoire américaine et marcher dans les pas de son mentor John Ford, John Wayne en rêvait depuis les années 40, depuis que le succès lui avait enfin souri après des débuts difficiles, et il savait d’instinct qu’il serait attendu au tournant car il était encore impensable à cette époque qu’un acteur se tourne vers la réalisation. Il faut sans doute y voir la raison qui poussa le Duke à faire preuve d’un tel perfectionnisme et à ne rien laisser au hasard, ne se lançant dans ce projet qu’après avoir assuré ses arrières et rassemblé les fonds qui lui permettraient de mener à bien une telle superproduction, qui le laissera néanmoins complètement essoré, humainement et financièrement. L’assaut contre le fort lui-même et le sacrifice de ses défenseurs, s’il n’a rien perdu de son lustre, ne dure finalement pas très longtemps, et c’est toute la mise en place de ce combat aux dimensions mythologiques qui occupe deux bonnes heures du film. John Wayne ne s’attarde guère sur les racines politiques du conflit entre le Texas et le Mexique (sans doute étaient-elles connues de tous les écoliers américains à cette époque) et fait tourner les enjeux de la défense du fort autour des trois personnages principaux : le rigide colonel Travis, l’imprévisible Jim Bowie et Davy Crockett, interprété par Wayne en personne, qui s’impose comme une force pacificatrice entre ces deux fortes têtes. Ce sont les joutes verbales du trio, et autant de petites sous-intrigues parfaitement calibrées entre les personnages secondaires qui permettent de densifier ces deux heures sans que jamais on ne s’y ennuie. Évidemment, le rythme d’Alamo est très différent de la notion de “film à grand spectacle” telle qu’on la conçoit aujourd’hui et de nombreux aspects du films (auxquels je trouve personnellement beaucoup de charme) semblent aujourd’hui bien désuets : ces romances pudiques, cet humour espiègle entre des hommes qui se comportent par ailleurs comme des parangons de virilité à l’ancienne et bien sûr, cette avalanche de pathos sans nuance, toutes choses qui n’ont pourtant rien d’extraordinaire dans un tel projet d'hagiographie patriotique. On est toutefois surpris que John Wayne, qui traîne aujourd'hui une réputation de demi-fasciste républicain en vertu de l’orientation sans ambages de certains de ses films comme ‘Les bérets verts’ n’oriente pas ‘Alamo’ dans la direction évidente qui aurait permis de conforter les pré-conçus. Bien sûr, l’objectif du film est patriotique mais il ne s’agit pas pour John Wayne d’opposer frontalement les Etats-unis et le Mexique, les soldats de Santa Ana étant d’ailleurs dépeints de manière bien plus respectueuse que n’importe quel film actuel qui mettrait en scène des antagonistes mexicains, et encore moins de se tailler un rôle iconique à sa (dé)mesure mais plutôt de faire profession de foi des valeurs personnelles auxquelles ils adhère, sacrifice, courage, liberté et fidélité à la parole donnée, à travers le récit de ces volontaires venus de tous les coins du pays qui choisirent consciemment de défendre ce coin reculé parce qu’ils avaient foi dans le système républicain que leur sacrifice permettra d’établir au Texas. Classique indéboulonnable du cinéma américain, moins bêtement manichéen qu’on ne l’imagine et paradoxalement menacé durant de longues années de disparition “physique” (sans doute parce qu’on ne savait plus comment aborder John Wayne dans un monde imperméable à la nuance, tout comme un jour prochain on ne saura plus comment aborder Clint Eastwood), ‘Alamo’ aura au moins permis à un simple acteur, fut-il l’un des plus grands de sa génération, de s’imposer également comme un grand réalisateur, ouvrant ainsi la voie à beaucoup d’autres.