Le film aurait pu rester dans les placards, car il n’a pas connu à l’époque de sortie commerciale. En 1989, pour ses enfants, il dépoussière son œuvre et leur présente sous forme de cassette. Finalement, l’accueil public et critique à l’époque sera excellent, tant son sens de la satire est ici prégnant. Son cinéma sera même considéré comme une avant-garde du travail de Jim Jarmush.
Dès les premiers plans de d’Harry Plotnik seul contre tous, Il existe une forme de bonté, comme naturelle et instinctive sur le visage d’Harry. Une grande lassitude aussi car il est quand même à peu près tout le temps contrarié. La mise en scène est centrée autour de ses mimiques, souvent discrètes, mais tellement explicites quand on les capte. Il exerce presque comme une forme de fascination à le regarder évoluer dans cet univers tourmenté. Car oui, Harry est toujours débordé. Toujours ce téléphone qui sonne en permanence, y compris dans les lieux les plus incongrus, il y a toujours un combiné, une sonnerie et quelqu’un qui veut lui parler. Son business au bord de la faillite, est pourtant d’une redoutable exigence. Et puis, il y a sa sœur, qui le dérange en pleine nuit avec une call-girl, il y a son cœur, deux fois trop gros lui dit le médecin, des fêtes, des défilés, des relations douteuses avec la pègre et l’entreprenariat local. Avec Harry, c’est sans arrêt.
On est au cœur d’une véritable « Jewish comedy » dans tous ses codes, qui enchaîne les clichés dans les débordements permanents d’une galerie de personnages tout aussi excessifs les un-e-s que les autres. A ce jeu-là, si on est en permanence sur le qui-vive, et que les rapides 1H19 permettent de ne jamais vraiment décrocher, le récit multiple et dense, la succession de saynètes, offrent une narration par moment décousue, un peu exigeante et qui nécessite une concentration de chaque instant.
Le cinéma de Roemer est autant méconnu qu’il mérite d’être découvert, ce qui est précisément le moment avec cette rétrospective American Trilogy du cinéaste, Nothing But a man (1964), Harry Plotnick seul contre tous (1990) et Vengeance is mine (1984). C’est maintenant ou jamais.
Il aura fallu presque vingt ans à The Plot Against Harry pour trouver son public, le film étant sorti dix-neuf années après sa réalisation grâce à différents festivals. C’est une aubaine que de pouvoir le découvrir aujourd’hui tant il constitue une singularité dans le paysage codifié d’un genre, le polar sur fond de mafia, qu’il croise avec celui de la comédie de mœurs. Michael Roemer articule deux milieux antagonistes, celui du marché noir et des paris illégaux au sein duquel ledit Harry tente de retrouver sa place après une détention longue, celui de la grande famille juive où il apparaît tel un étranger. Il s’agit alors, pour le personnage principal, de reconquérir ses droits et son territoire ; hanté par son statut de revenant, contraint à la posture de spectateur d’une ville en constante mutation, il se heurte pourtant aux limites de son ambition et au déboulonnage systématique de la statue qu’il essaie, tant bien que mal, d’ériger. Le style alerte du long métrage, composé de séquences assez brèves et montées avec rythme, énumère les déconvenues essuyées dans une temporalité comme figée, sans repères de date, de jour ou d’heure. La préposition « against » révèle d’emblée l’acharnement du monde entier sur un individu persévérant, sans que le cinéaste ne s’y complaise ; et c’est certainement sur ce point que The Plot Against Harry tire sa plus grande force, dans le savant dosage entre drame et comédie occasionnant une suite de situations drolatiques mais jamais hilarantes – tonalité qui eût été ici malvenue. La clausule orchestre une réconciliation bienvenue de celui que l’on peignait sous les traits du Juif errant, au diapason d’une confession religieuse célébrant unions et réunions. Le recours à des comédiens amateurs confère enfin une authenticité dans l’interprétation, qui contribue à faire du film une franche et singulière réussite.