(critique à ne lire qu'après avoir vu le film : beaucoup de spoilers!)
Cette comédie finalement très noire est un film extraordinaire de par son scénario, son sens psychologique aiguisé et ses acteurs (en particulier Tom Courtenay), peignant à grands traits parfois caricaturaux, mais non sans subtilité pour autant, le portrait d’un jeune homme atteint de mythomanie pathologique - pour faire (trop) court. Ce qui caractérise Billy, bien avant le mensonge, serait plutôt - et c’est un trait que j’ai longtemps partagé avec lui - le songe : c’est un rêveur, un véritable contemplatif mais de l’espèce la plus auto-indulgente qui soit. Une éducation plutôt douillette entre un père irascible et une mère trop aimante a fait de lui cet être incapable de se faire la violence nécessaire quand il faut agir (prendre un train pour Londres et changer de vie), choisir (laquelle de ses deux fiancées et de son amoureuse fuyante) et assumer (assumer ses désirs pour de vrai comme assumer les conséquences de ses énormes et innombrables mensonges). Il commence donc très vite à fuir la dure réalité dans des rêveries de toute puissance et de réussite extrêmement imaginatives (le pays d’Ambrosia qu’il s’invente). Il rêve sa vie comme j’ai pu trop rêver la mienne pendant mes années de jeunesse. Mais à ma différence, son imagination débordante lui fait penser qu’il a tout le talent nécessaire pour devenir scénariste (il ne cesse de harceler le comique de télévision Danny Boone pour qu’il l’engage, sans avoir produit quoi que ce soit auparavant de fini ; à vrai dire, si j’ai pour ma part presque toujours échoué à terminer quoi que ce soit, le problème de Billy serait plutôt de commencer : à son amie de cœur Liz seule il avoue qu’il n’a toujours pas commencé à écrire une ligne du roman qu’il écrit en rêve ). En fait, il se rêve scénariste et laisse son imagination en friche, sans même vraiment tenter d’en tirer quelque chose de réel : il n’a tout simplement pas (et en cela je me retrouve en lui) le goût de l’effort ( défaut particulièrement difficile à assumer pour un mâle, surtout à une époque où le patriarcat n’avait pas encore sombré complètement et que je partage avec lui).
Mais la manière dont Billy gère son état de rêveur permanent est assez différente celle que j’ai pu pratiquer. Alors que ma timidité ne me permettait de ne mentir qu’à moi-même et faisait que je gardais mes rêves de grandeur pour moi seul, Billy, lui, ne manifeste (publiquement du moins - et sans doute le doit-il au caractère bien trempé de son père) aucun doute sur lui-même et ses possibilités (et ici peut-on supposer voir la projection d’un trait de caractère qui, contrairement à ceux qui font de Billy un raté, appartenait peut-être au réalisateur John Schlesinger : la fameuse houtzpah - ou culot monstre - commune à la plupart des membres de la communauté juive ; Billy Fisher peut être vu je crois comme un double alternatif ou précoce de Schlesinger). Il est donc tout naturellement amené à rêver non seulement éveillé mais tout haut. Et au lieu de se mentir seulement à soi, son imagination le pousse à sans arrêt mentir aux autres, ce qui le met dans des situations des plus pénibles et vouées à le faire échouer. Il rêve sa vie, il ment sa vie : le mentir vrai d’Aragon peut-être bien.
La seule personne au fond qui parvienne à le comprendre dans le film est Liz (la formidable Julie Christie). Liz est décrite par Billy comme quelqu’un d’instable, un jour ici l’autre là, au gré des envies et des lassitudes ; elle change de job (et d’amant comprend-on) comme de chemise. Mais Billy ne la méprise pas pour autant, loin de là : il semble plutôt l’envier. Bien qu’elle donne l’impression de fuir en permanence quelque chose qui nous échappe, sa fêlure propre lui permet de comprendre celle de Billy : ils se rendent compte qu’ils ont en commun cette faculté imaginative et cette tendance à se réfugier dans le rêve. Ils rêvent alors de rêver leur vie ensemble. Mais Liz a malgré tout davantage les pieds sur terre. Elle veut un mariage, pas des fiançailles. Et elle pousse Billy à se réaliser enfin. Elle finira par le convaincre d’agir sa vie et non plus seulement de la rêver. Mais au dernier moment, Billy descend du train pour Londres, pour l’avenir, pour la vraie vie, va acheter du lait (en vrai : scène dérisoire où il semble jouer sa vie) mais laisse partir le train et fait semblant de lui courir après. C’est après un rêve trop réel pour lui qu’il fait semblant de courir. On peut aussi penser que c’est son attachement inexprimé mais probablement puissant à sa mère nourricière (à ce moment endeuillée par la perte de la sienne) qui l’empêche de prendre véritablement son envol ; et l’on retrouve ici le thème récurrent de la possessivité des mères juives (bien que rien dans le film ne montre un quelconque signe d’appartenance à la communauté ; l’époque ne s’y prêtait pas encore, ou bien Schlesinger préférait donner ainsi à son personnage une plus grande universalité). Mais la mort de la grand-mère n’est à voir ici que comme un prétexte : toute autre - même moindre - aurait suffi à alimenter une culpabilité permanente bien que jamais manifestée autrement que par certaines mimiques muettes du personnage. Culpabilité, très probablement, de ne pas être à la hauteur des rêves de grandeur que ses parents - et sa mère surtout - devaient avoir pour lui.
Finalement, qui est vraiment Billy ? sinon un acteur, et même l’acteur par excellence, celui qui joue sa vie en permanence, incapable d’être lui-même. C’est donc non seulement comme une étude psychopathologique mais aussi comme une réflexion sur le jeu de l’acteur de théâtre (le film fut d’abord une pièce) et de cinéma que doit être vu le film de Schlesinger, dont on notera qu’il commença par ce métier. C’est probablement aussi de ce fait une forme d’introspection transposée pour lui, qui fut au contraire de Billy capable de transformer ses défauts en réussite sociale.