Entre héroïsme, actes sortant de l’ordinaire, et personnages particuliers, la plupart des films de guerre relatent des faits glorieux. Très souvent en tout cas. On le constate encore aujourd’hui dans le cinéma moderne avec les sorties récentes de "Fury" ou "Imitation game". Mais j’ai bien dit "la plupart", car ce n’est pas systématiquement le cas. Rares sont les réalisateurs qui osent porter à l’écran des pages moins glorieuses, comme Peter Berg a su si bien le faire à travers "Du sang et des larmes", 21 ans après le précurseur Pierre Schoendoerffer en la matière. Nous savons tous que la France veut oublier sa cuisante défaite à Diên Biên Phú, qui fut aussi retentissante que Waterloo. En dépit de nombreux livres qui ont été écrits sur cette bataille décisive de la Guerre d’Indochine, Pierre Schoendoerffer s’est risqué à porter à l’écran cet immense fiasco de l’armée française, sûr de son sujet étant donné qu’il a lui-même participé à cette bataille. Sans doute est-ce parce qu’il est un vétéran de ce conflit, qu’il s’est efforcé de faire reproduire les tranchées, de faire venir trois véritables avions Dakota DC3, de tourner quelques scènes dans leur véritable lieu d’origine (devant et dans l’Opéra de Hanoï, aéroport de Gia Lâm d’où s’envolèrent les parachutistes vers Diên Biên Phú), et de se trouver en présence d’un pont Bailey enjambant la Nam Youn à l’image de ce qui existait à Diên Biên Phú en 1954, tout cela afin de mieux rendre compte de la situation d’alors. Quant au champ de bataille en lui-même, un site vierge a été choisi, présentant l’avantage de ressembler au site de 1954, le lieu originel étant devenu depuis un site très urbanisé. A travers son film, on sent que le réalisateur a mis tout son cœur dans son projet : il s’est chargé de faire la narration en voix off pour commenter les phases principales, allant jusqu’à nous offrir la conclusion avant le générique de fin. La conséquence est que le spectateur est placé comme si il lisait un journal qui a été tenu en temps réel. On aime ou on n’aime pas. Mais même si on n’aime pas (ce qui est mon cas), on ne peut que reconnaître des qualités indéniables au film de Pierre Schoendoerffer. D’abord la bande son, particulièrement soignée. Et si vous avez la chance de posséder un home cinéma avec un bon 5.1 (voire plus), non seulement vous avez l’occasion de faire vibrer vos murs sous les coups de canons et l’atterrissage dévastateur des obus, mais en plus vous subirez aussi la pluie de projectiles divers et variés. Nos esgourdes sont sollicitées pour notre plus grand plaisir, et nos yeux aussi devant un spectacle saisissant de désolation. Un champ de bataille est à l’exact opposé des sites touristiques, mais l’orchestration des frappes est tout de même jolie et impressionnante à voir car en effet, nous sommes bien mieux dans le canapé (ou fauteuil) que sous le feu des armes. Cette histoire de défaite, que l’état-major a bien voulu en abandonnant ses troupes, offre un joli spectacle pyrotechnique, et relate sans condamnation la vie de ces hommes dans le bourbier vietnamien, dans un réalisme confondant. De ce que j’en ai ressenti, seul le désir de rétablir les choses dans leur plus pure vérité a poussé Pierre Schoendoerffer à réaliser ce film, certainement encore plus ou moins en colère après les dirigeants français de l’époque. Les autres points forts de ce film sont la musique (absolument superbe) qui souligne la dramaturgie de la situation, et la photographie. Alors qu’est-ce que je reproche à ce film ? Eh bien le fait qu’on ne s’attache à aucun des personnages, à une réalisation trop désincarnée pour éprouver quelconque empathie ou sympathie pour n’importe quel personnage. Pierre Schoendoerffer a fait un choix : celui de rétablir la vérité historique. Je respecte ce choix. Je vous l’ai dit : soit on aime, soit on n’aime pas.