Nombre de critiques portent sur le fait que Sofia Coppola ne donne aucune explication à la tragédie dont elle filme la génèse , vue au travers du regard de jeunes adolescents fascinés par ces cinq soeurs ravissantes et mystérieuses . Justement , un suicide , et à fortiori cinq , reste toujours inexpliqué , c’est bien le drame des proches qui n’ont souvent rien vu venir et restent dans le questionnement et la culpabilité jusqu’à la fin de leur existence . Un suicide c’est une conjonction de circonstances et de blessures qui amènent une personne à penser qu’il n’y a qu’une seule issue pour mettre fin à la souffrance .
Tout l’art de Sofia Coppola est de montrer la vie banale de ces jeunes filles , des adolescentes désireuses de vivre leur jeunesse selon les codes de leur génération mais bridées par des parents aimants mais décalés , appartenant au monde d’avant la révolution des moeurs des années 60 et pétris d’une foi rigide qui associe la joie et le plaisir au péché . Elles ne manquent de rien , ces charmantes enfants , sauf de l’essentiel à leur âge , la liberté .
Tout au long du film on les voit évoluer gaiement , écouter de la musique , s’intéresser aux garçons , coquettes , rieuses , des adolescentes banales . Pourtant , le fillm est parsemé d’indices , plus ou moins subtils , qui ne laissent aucun doute sur l’issue fatale , annoncée , d’ailleurs , dès le préambule , par un narrateur visiblement empêché d’oublier cette tragédie .
Le premier , et non des moindres , est la tentative de suicide de la plus jeune des soeurs . Inexplicable , elle ne semble pourtant pas étonner outre mesure ses quatre aînées alors qu’elle désempare totalement les parents , dignes mais ravagés . Alors que les filles resserrent le cercle fraternel autour de la benjamine , veillant sur elle étroitement tout en conservant une apparente inosuciance , ils en viennent , eux , à organiser une sorte de boum à leur domicile , allant , par amour , contre leurs principes ultra rigides , en particulier la présence de garçons . Lorsque , à l’issue de cette party extrêmement guindée , elle met elle-même fin à ses souffrances , ce n’est pas si inattendu , les jalons étaient posés : sa remarque à sa mère sur l’extinction des espèces , la banalité de son journal où elle n’a rien à raconter mis à part son amour des arbres , la marque qu’elle imprime sur son orme condamné à l’abattage suite à sa contamination par le champignon venu d’Europe , tout indique que l’avenir de la planète l’angoissait , et le sien propre par extension .
Ses soeurs , quelques semaines plus tard , reprennent le chemin du lycée , insouciantes en apparence , ignorant les regards gênés , souriantes et solaires , fasscinant les garçons attirés par leur beauté , leur douceur , leur mystère ...Ce passage , mine de rien , les différencie les unes des autres , la réalisatrice faisant émerger des personnalités différentes dans un groupe paraissant uniforme , à coups de pinceau délicats : Mary est très sociable et appréciée , Térésa , plus réservée , observe et espère un avenir , Bonnie , rieuse , a envie de joie et puis Lux , objet de tous les fantasmes , mutine , aguicheuse , imprévisible , plus audacieuse et entreprenante que ses soeurs , en position de leader mais , malgré tout partie prenante de cette alchimie qui les soude . Loin de rendre inexplicable l’acte collectif final , ces différences de personnalités l’éclairent : aucune ne trouvera satisfaction , aucune ne pourra garder espoir , aucune ne verra la moindre chance de s’accomplir , de réaliser ses désirs si simples et naturels , aucune ne pourra contredire les autres et corriger leur vision d’un avenir morne et désespérant .
C’est Lux qui scellera leur destin en provoquant , bien malgré elle , une succession d’évènements sans gravité mais qui leur fermera les portes de la vie , selon leur point de vue . Grâce à la passion qu’elle inspire au tombeur du lycée , les quatre soeurs obtiennent de leur intransigeante mère , avec le soutien de leur père plus complaisant , d’aller au bal du lycée avec des cavaliers éberlués d’avoir été choisis par leur copain énamouré . Là encore , des indices sont semés , permettant de présager de l’issue tragique de cette banale soirée , rituel commun à tous les adolescents américains . La mère leur achète des robes de soirée qu’elle "améliore" , les transformant ainsi en de ridicules hybrides , mi fillettes , mi nonnes . Les cavaliers sont choisis pour des raisons triviales , l’un conduit , l’autre fournit de la bonne herbe , le dernier est un élève modèle , ce qui annonce une nuit un brin "torride" sous des apparences bienséantes visant à rassurer la mère psychorigide . Malgré tout , les filles sont aux anges et elles vont profiter de la moindre seconde de cette soirée dont elles n’avaient pas osé rêver . Hélas , Lux franchit la ligne rouge et rentre au matin après une nuit d’amour sur la pelouse du stade où elle s’éveille abandonnée par son séducteur qui n’a pas supporté que la magie s’envole après avoir consommé , bien que , pour le reste de sa vie , ainsi qu’il en témoigne , il restera marqué par cet amour exceptionnel , fugace et puissant , comme seuls le adolescents peuvent le vivre .
La mère tire une conclusion immédiate de cet incident : ses filles ne doivent plus être exposées à la tentation dans un monde où le péché règne en maître . Elle décide donc de les retirer du lycée et de les cloîtrer à domicile .
Ce dernier tiers du film multiplie les indices , ténus mais significatifs : la nymphomanie de Lux , la destruction des disques , les commandes incessantes de catalogues permettant aux filles de s’évader , la perte de raison du père et , finalement , l’abattage de l’arbre auquel elles tentent de s’opposer , comme si il était la dernière incarnation de leur petite soeur disparue . Cela semble être le signal , celui qui leur indique qu’il n’y a plus d’espoir ... La manière dont elles s’y prennent est d’ailleurs significative , puisqu’elles convient les garçons invités à la boum fatale , comme un lugubre remake où ils seront , une fois encore , des témoins impuissants . Toutefois , ce faisant , elles en font les gardiens de leur mémoire , ad vitam aeternam , de manière consciente ou pas , là réside le seul mystère de ce film qui déroule de manière limpide , pour qui sait voir , un processus inéluctable et implacable , compte tenu des acteurs , des adolescentes , des parents , une période de mutation des valeurs .
Sofia Coppola a fait un formidable travail , esthétique mais aussi psychologique , sous des apparences simplistes , comme un peintre imptessionniste qui traduit ce qu’il voit par petites touches destinées à former un tout lumineux . Car il y a de la lumière dans cette histoire pourtant si sombre , cet appétit de vivre qu’expriment ces jeunes filles , à l’exception de la benjamine , ces amours inaltérables qu’elles ont inspirés , leur beauté exaltée par le soleil d’un été semblant éternel , leur jeunesse figée dans le temps , les espoirs qui les animent , l’expression de cette fugace jeunesse , ce temps où tout semble possible et où l’on se pense invincible , où l’on croit que les règles sont des obstacles posés là pour qu’on les brise ...
L’adolescence est l’âge de l’irrationnalité selon les normes des adultes . On en donne désormais une explication scientifique , le sous développement du cortex frontal , la poussée hormonale , ou psychologique , le besoin de s’émanciper , de sortir du cocon pour devenir adulte . Ce serait une étape de la sélection naturelle , les plus forts , les plus aptes à survivre , s’en sortiraient grandis , les autres se perdant ou s’anihilant . Le film de Sofia Coppola donne un autre point de vue , celui des adolescents eux-mêmes . Ils ont des objectifs qui semblent dérisoires et futiles aux adultes et sont , pour eux , vitaux . La différence de valeurs provoque une incompréhension entre les jeunes gens et leurs parents :les uns veulent vivre dans l’instant , assouvir leurs désirs irrépressibles , tout essayer et tout goûter tandis que les autres s’inquiètent de l’avenir , de la moralité , de la réputation , de la religion , toutes choses rébarbatives et sans aucun intérêt pour leurs dolescents . C’est sans aucune ambiguïté que Sofia Coppola montre cette irréconciliabilité de points de vue . Chez les Lisbon , le décalage des parents , vivant encore dans une époque révolue , corsetés dans leur puritanisme , aveugles aux mutations de la société , provoque la tragédie . La réalisatrice le signifie clairement dans la scène du bal des débutantes où les parents des autres jeunes dédramatisent les maux du temps , en l’occurrence la pollution , en faisant un thème de soirée extravagant qui rassemble les deux générations . Le messge est clair : les soeurs Lisbon ne sont plus là parce qu’elles n’auraient jamais pu y participer . Le cas du père , toutefois , est plus ambigü que celui de la mère . Il semble s’être réfugié dans un monde rationnel où la science règne en maître , à l’opposé du registre religieux . Il tente , maladroitement , de soutenir ses filles , obtenant la permission pour elles d’assister au bal , puis sombrant dans l’incohérence pour supporter leur claustration . James Woods livre là une performance subtile , en contraste parfait avec la magistrale Kathleen Turner en mère aimante mais faisant passer les valeurs qu’elle pense devoir inculquer à ses filles avant l’écoute et la compréhension .
Les acteurs adolescents sont tous excellents . Kirsten Dunst sort du lot de par le rôle central qu’ele tient mais tous les autres sont à la hauteur .
J’aurais pu accorder cinq étoiles à ce film qui m’a totalement séduite si il n’y avait quelques maladresses dûes , sans doute , à l’inexpérience de Sofia Coppola . En réalité je l’estime à quatre étoiles et demie ...