S'arrêter devant un film de Sofia Coppola correspond toujours à s'arrêter devant un flou artistique. Virgin Suicides, loin de déroger à la règle, a été le film qui a révélé la touche de sensibilité de cette réalisatrice au style bien particulier. Nous faisant voyager jusque dans les années 70, elle nous présente un quartier bourgeois des Etats-Unis, dans toute sa splendeur. À travers deux approches, l'approche visuelle, très harmonieuse, comme un reflet de pureté, et l'approche psychologique, bien plus sombre.
Elle joue constamment sur cette double facette, celle des apparences et celle des consciences. Les images sont toutes travaillées pour donner l'impression de baigner dans une douceur angélique, inoffensive. Le teint est clair, les musiques douces, accompagnant les personnages avec une présence poétique constante. Même les actrices en elles-mêmes renvoient à cette idée de pureté, des jeunes filles aux teints pâles, aux cheveux blonds et aux voix mélodieuses. Jusque dans le titre on retrouve ce contraste marqué, avec cette opposition entre les "vierges", symboles d'innocence, et le "suicide", symbole de déchéance morale et physique.
Avec ces mouvements de caméra et ces plans contemplatifs, nous sommes nous-même attiré dans cette spirale de légèretés, sans avoir l'impression à un seul instant d'être face à un véritable drame, et ce jusqu'à la toute fin du film. La volupté du style et la tendresse féminine qui plane sur le long-métrage ne permettent pas d'avoir ce malaise, qui pourtant finit par nous gagner et nous marquer, donnant une dimension encore plus puissante à l'histoire.
En y regardant de plus près, on se rend compte que nous sommes trompés par les apparences, trompés par ces faux sourires, et, comme tous les personnages, ignorants de la souffrance de ces jeunes filles. Nous finissons par les comprendre sans les comprendre, et il faut un long temps de réflexion avant d'atteindre vraiment une empathie totale. Virgin Suicides fait partie de ce genre de films dont la portée principale ne s'affirme pas uniquement durant le visionnage, mais se complète et s'achève des semaines, des mois, des années plus tard, tant il continue de nous hanter, sans relâche.
Le thème de l'ignorance est caractérisé par cette fin étrange mais indispensable, comme pour montrer que la vie continue son chemin, laissant de côté ceux qui ne s'y sentent pas à l'aise. Et nous sommes en quelque sorte pointés du doigt, comme acteurs de cette ignorance collective, qui s'avère effrayante et malsaine, et qui finit par nous répugner.
Une telle puissance dans le message transmis n'aurait pu être atteinte sans ces actrices qui donnent vie à leurs personnages, qui pourtant représentent la mort en elles-mêmes, comme des fantômes qui occupent l'écran, inexpressives et incomprises. Le personnage de Josh Hartnett apporte cette variété nécessaire au film, afin qu'il ne s'enlise pas dans son propre nuage. Sofia Coppola bénéfice donc d'un casting de premier choix pour affirmer son oeuvre comme une véritable réussite.
On se retrouve donc avec Virgin Suicides devant un film à l'effet instantané et prolongé, qui n'a pas d'équivalent et qui apporte, grâce à l'intelligence du jeu sur deux dimensions distinctes, une retranscription d'une réalité des plus sombres par l'intermédiaire d'une souplesse omniprésente. Renforcée par des images pures et des musiques aux connotations poétiques, on se rend compte que le suicide n'est rien d'autre qu'un meurtre. Un meurtre duquel nous sommes tous un peu coupables...