Les chefs d'œuvre sont intemporels et les revoir au fil des ans laissera la même impression à ceux qui les ont aimés à leur sortie ou au moment de leur première vision. "Excalibur" de John Boorman que quelques-uns considèrent comme son meilleur film, laisse malheureusement apparaître plus de trente ans après sa sortie en 1981 des faiblesses qui avaient pu passer inaperçues tant l'esthétique du film était complètement en phase avec l'humeur du moment qui voyait débarquer sur les plateaux de cinéma des réalisateurs anglais venus de l'univers de la publicité comme Alan Parker, Adrian Lyne, Hugh Hudson, Ridley Scott et son frère Tony Scott. John Boorman dont le sens du mythique et le souci du rapport de l'homme à la nature guident une partie majeure de sa carrière ("Délivrance", "Zardoz", "L'exorciste II", "Excalibur", "La forêt d'émeraude") se trouve naturellement en phase avec cette approche esthétique favorisant parfois la forme sur le fond. Dans l'esprit de Boorman, le projet d'adaptation de la légende arthurienne à l'écran date de 1969. Il est alors en contact avec United Artists qui lui propose de plutôt s'orienter vers l'adaptation prétendue impossible du "Seigneur des Anneaux" de J.R. Tolkein. Le scénario proposé par le réalisateur et Rospo Pallenberg est jugé trop dispendieux par le Studio qui renonce. Boorman ne se décourage pas et conserve une partie du travail effectué pour revenir à la légende arthurienne avec un nouveau scénario basé essentiellement sur le livre référence de Thomas Mallory, "Le Morte d'Arthur" datant de 1484. La Warner qui est entrée dans le jeu refuse de s'engager sur un film de plus de quatre heures. John Boorman qui vient de subir deux échecs cuisants avec "Zardoz" et "L'exorciste II: l'hérétique" justement produit par la Warner, doit en rabattre et revoir ses ambitions à la baisse. Le film doté d'un budget modique pour ce type de production durera à peine plus de deux heures au cours desquelles l'ensemble de l'épopée du roi Arthur sera passée en revue. La fluidité narrative est remarquablement orchestrée, permettant à chacun de s'imprégner d'une légende assez touffue et somme toute guère connue dans ses détails. Les sauts temporels qui sont pourtant nombreux sont parfaitement gérés et n'égarent à aucun moment le spectateur. L'entame granndiose en tout point réussie lance le film sur une voie divine grâce à la magnifique photographie mordorée d'Alex Thompson et à la sublime et emphatique "Marche funèbre de Siegfried" tirée du "Crépuscule des dieux" de Richard Wagner, autre adepte de la légende arthurienne. En dépit des moyens "raisonnables" dont il dispose, John Boorman parvient à maintenir tout au long du film une qualité visuelle rarement atteinte mais surtout complètement en phase avec l'esprit de la légende qui nimbe de mystère ces temps reculés où l'homme était encore sous l'emprise de puissances divines qu'il croyait arbitre entre le bien et le mal. Après l'exposé de toutes ces qualités, comment expliquer qu' "Excalibur" ne puisse accéder au statut de chef d'œuvre incontournable auquel il était promis à l'époque de sa sortie ? On peut évoquer l'hypothèse d'un casting déséquilibré qui veut qu'aux côtés d'un Nicol Williamson souverain en Merlin tour à tour patelin et démoniaque et d'une Helen Mirren sulfureuse à souhait, œuvrent des acteurs aussi mièvres que Nigel Terry, Cheri Lunghi et Nicholas Clay dans les trois rôles principaux d'Arthur, Guenièvre et Lancelot. Ces acteurs inconnus qui n'ont guère confirmé par la suite, auraient sans aucun doute mérités d'être mieux soutenus par un John Boorman qui n'avait jusqu'alors dirigé que des pointures comme Lee Marvin, Sean Connery, Marcello Mastroianni, Jon Voight, Nead Beatty, Richard Burton, Max Von Sydow ou Louise Fletcher. Sans doute trop occupé par la chorégraphie de son opéra lyrico-mystique, le réalisateur a négligé cet aspect de son travail. Pire, il a ajouté des scènes d'un kitsch aujourd'hui plus que suranné tel le clou du spectacle que constitue la nuit d'amour entre Lancelot et Guenièvre que l'on croirait tout droit sortie du "Bambi" de Walt Disney. Revenant trop souvent au long du métrage, ce penchant au maniérisme qu'on ne connaissait pas chez le réalisateur du "Point de non-retour" et de "Délivrance", fait perdre beaucoup de sa fulgurance et de sa fureur à un film qui demeure malgré tout un must d'un genre pas si souvent visité. Quel dommage !