Deux ans après avoir esthétisé la violence avec sa guerre des gangs dans « Les guerriers de la nuit�, Walter Hill délaisse les rues d’un New York interlope pour les contrées marécageuses de la Louisiane du sud. Sur une trame narrative assez similaire (une chasse à l’homme et la mort rapide du leader), on reste toutefois loin d’une simple transposition, à commencer par cette désurbanisation qui oriente radicalement le film vers un tout autre terrain.
Car « Sans retour » marche sur les traces boueuses du « Délivrance « de Boorman (1972), œuvre séminale du survival movie en mode red neck a laquelle il est impossible de ne pas penser. Pourtant on n’assiste pas non plus à une « relecture », les 2 films s’avérant au final très complémentaires. Comme son illustre prédécesseur Hill va dépeindre ce choc de culture à travers cette difficile cohabitation entre ces deux mondes, l’Amérique citadine et l’Amérique urbaine.
Dés les premières images du générique, une succession de plans sur le Bayou, paysage à la beauté sauvage, crépusculaire, installe un climat inquiétant. Une impression sublimée par la photographie de Andrew Laszlo, splendide avec ses tons verdâtre lui conférant un aspect immersif proche du documentaire.
On va suivre la cavale de ces « terriens » perdus dans cet espace amphibie, déjà naturellement hostile, mais rendu quasi irrespirable par la menace des pèquenauds. Un sentiment de claustrophobie qui va basculer en paranoïa, au point de flirter parfois avec le surnaturel. C’est d’ailleurs un des points les plus remarquables du film qui joue habilement sur un cliché prégnant de la mythologie red neck, celui des rites macabres, aux frontières de la sorcellerie. Du coup on a beaucoup de mal à faire la part des choses entre réalité et illusion, subtile ambigüité sur laquelle Hill prend un réel plaisir de ne jamais lever le voile. Comme avec ses chiens enragés jaillissants de nulle part avant de disparaitre tout aussi soudainement, mais dont les morsures des soldats sont bien réelles! Ou avec ce totem des cadavres de soldats déterrés et celui retrouvé mystérieusement pendu a un pont. Même les apparitions des cajuns prennent des allures fantomatiques, des ombres que l’on devine entre les arbres.
Les soldats réservistes sont montrés comme de purs citadins sudistes, avec des comportements de male en rut, prêt pour une partie de soft air entre potes, avec putes, whisky et blagues bien graveleuses a l’humour plus que douteux (comme celui du soldat qui demande si une fille lui est réservée et a qui on rappelle…qu’il est noir, avant de lui préciser que ce n’est qu’une plaisanterie !). Mais si Hill égratigne également quelque peu l’armée, il prend soin d’installer toute une galerie de personnages, dont certains au comportement plus raisonné, d’autres transcendés par le port de l’uniforme ou « envahis » par leur mission. Une caractérisation qui prend forme à travers les réactions de chacun dans les scènes d’action. Ce remarquable parti pris lui évite celui de la caricature des purs B movie’s typiquement 80’s. Un excellent casting de « gueules », Keith Carradine et Power Booth en tête, sans oublier Lewis Smith (le premier qui ne versa pas le sang) Peter Coyote, Fred Ward…qui donne du « poids » a la mise en scène.
Coté Cajun, Brion Jones (le réplicant léon dans « Blade Runner ») campe un parfait « bouseux », une interprétation étonnamment réaliste avec ses phrases entre onomatopées et dialecte acadien! La dernière partie du film dans le camp red neck est le point culminant de cette démonstration de mise en scène, de virtuosité dans cette montée paroxysmique de la paranoïa, un moment de pure terreur. Immergé dans la vie des cajuns, on découvre une communauté autarcique, vivant principalement de pêche et de chasse, dans la joie et la fête, au son des violons, guitares, harmonicas, entre autres instruments traditionnels (superbe partition de Ry Cooder, à ranger au coté du « Dualing banjo » de « Délivrance » ). Les deux « étrangers » restent sur leur garde, méfiants, alors que la vie bat son plein et sans que personne ne semble se soucier de leur présence.Les gros plans successifs sur ces deux nœuds coulants installés au bout d’une corde, et sur le visage de Hardin (Power Booth), témoignent de la psychose ambiante, avant de découvrir qu’ils sont en réalité destinés a deux cochons sauvages, abattus devant leurs yeux (petit moment très » snuff movie » ), puis d’apercevoir sur le plan suivant que les « traqueurs » sont de retour, pour un brutal et particulièrement violent épilogue… Il était assez facile de voir une nouvelle métaphore sur la guerre du Vietnam avec la présence de soldats, l’époque de l’intrigue (1973) et un décor qui n’est pas sans rappeler celui des rizières et de la jungle. Mais Walter Hill démentira catégoriquement cette interprétation, à juste titre. Car « Sans retour » est un film puissant, atmosphérique, un des meilleurs survival de l’histoire du cinéma, Hill nous livrant une incroyable et hypnotique leçon de mise en scène.
Injustement Boudé par le public et la critique à sa sortie, il retrouvera au fil des années sous différents supports la place qu’il mérite largement, un juste… « retour » des choses.