Invité à la cinémathèque de Paris pour une rétrospective qui lui est dédiée, Walter Hill surprend par sa grande humilité. Au cours de cette rencontre, le réalisateur âgé de 82 ans se confie sur sa méthode de travail, qu'on pourrait résumer avec la maxime "show, don't tell". Rien d'intellectuel à la conception de ses films à priori, la plupart furent déconsidérés à leur sortie, nombre d'entre-eux sont maintenant chéris comme de vrais trésors (Driver, Les Guerriers de la nuit). Réalisateur, producteur, scénariste ; Hill est la personnification d'un artisan droit, appliqué et versatile. Règle d'or : ne garder que l'essentiel. 1h40, c'est le grand max chez lui.
À bien des égards, ce parcours résonne avec celui de John Carpenter, même si le papa de Michael Myers demeure plus populaire. Quand Hill imaginait un New York déchiré par ses Warriors en 1980, Carpenter expédiait en 1981 son solide Snake Plissken dans la même ville réinventée en prison. Le hasard fera bien les choses jusqu'au bout puisque les deux brulots seront érigés au rang de cultes. Un an plus tard, Big John mettra au monde son plus grand film, The Thing, survival enneigé confrontant ses personnages à une entité extra-terrestre hostile capable de prendre l'apparence de n'importe qui. Devinez qui en fera autant ? Une année plus tôt, Walter Hill perdait un bataillon de la garde nationale pris en chasse par des culs-terreux dans un bayou en Louisiane. Malgré la différence d'environnement, Sans retour partage ce goût pour la mise en (mauvaise) situation et le brouillage des repères, aussi bien géographique (les inserts parsemant la marche renforcent l'aspect labyrinthique du marais) que psychologique. On va nous faire déguster ? Oui, en même temps il y a à boire et à manger.
Le geste est anthropologique. Mettez les hommes en situation de vulnérabilité et regardez comment ils réagissent. Chez Carpenter, on débusquait le racisme derrière la traque à l'alien (= étranger, en français). Hill gratte une plaie encore mal cicatrisée, la guerre du Vietnam. Plus que l'erreur de cette guerre, le cinéaste renvoie l'horreur de certaines actions américaines à la face de son spectateur. La critique du "tirez d'abord, réfléchissez ensuite", personnifié avec le personnage de Reece, est limpide. Cependant, l'idée est d'aller plus loin que ça. Passé le briefing d'entrée, les 9 soldats vont cumuler toute sorte d'erreurs : jugements hâtifs, arrogance mal placée, réflexes bourrins. Un enfer pour eux, une vraie aubaine pour titiller notre cadran moral. D'autant que les personnages se révèlent petit à petit, ce qui ne facilitera pas la tâche pour soutenir ou condamner. Sans retour nous laisse seuls juges face aux actes et pensées de la petite troupe (aucune musique pour aiguiller), alors que les pertes et moments de flottements déchirent l'unité.
Les plus grands survivals obéissent à une inexorable montée en tension, paroxystique dans son dernier acte (cf Predator, Apocalypto...The Thing). Walter Hill ne déroge pas à la règle avec un épilogue jouant à merveille des contradictions pour travailler votre cardio. La métaphore du conflit armé persiste à filer, cette fois sur le terrain du stress post-traumatique. Ce qui augmente davantage l'angoisse d'un dénouement sinistre, puisque tout devient possible donc potentiellement tragique. On reconnaît le flair de Hill jusque dans le choix d'un casting de gueules pareilles. Powers Boothe, Keith Carradine, Fred Ward ou Brion James sont aussi crédibles dans les rôles d'antagonistes que de compagnons, d'où la facilité à se laisser embarquer avec eux. Le spectateur est lentement relâché de cette expérience, il est par contre fort probable qu'elle le marque durablement.
Coïncidence miraculeuse, il n'y a jamais eu de compétitions entre Walter Hill et son collègue John Carpenter. Les deux artistes ont juste développé les mêmes angoisses et en ont fait des films. L'un comme l'autre ne se font pas beaucoup d'illusions quant au genre humain. Ils n'ont pas eu forcément le succès qu'ils méritaient à l'instant T, il n'empêche que le cinéma américain leur doit une fière chandelle. Un p'tit dernier point commun pour la route.