Le titre original de ce film est « The bitter tea of general Yen » (« Le thé amer du général Yen »), Que ce formidable titre qui fleure bon le mystère et l’exotisme ait été transposé en français par l’insipide « La grande muraille », intitulé, par ailleurs, sans rapport avec l’histoire racontée, reste un mystère...
Dès l’introduction, Frank Capra nous plonge, avec une grande efficacité, dans le chaos d’une Chine en proie à la guerre civile et à la plus grande violence où, malgré cela, une communauté anglo-saxonne prépare, comme si de rien n’était, un mariage. Les communautés vivent donc sur des planètes séparées, dans une grande méfiance réciproque, la maîtresse de maison dira, d’ailleurs, des chinois qu’ « ils sont tous rusés, sournois et immoraux ».
C’est un peu l’impression que donne, au départ, le général Yen du titre qui, tel le Fu Manchu, est à la fois raffiné et cruel. Il explique, par exemple, sur un ton badin, que si le conducteur de pousse-pousse qu’il a écrasé avec sa voiture meurt, alors, « il aurait beaucoup de chance, la vie pour les gens comme lui est rarement une vallée de joie ».
Pourtant, ce seigneur de la guerre, pour lequel vie ne compte pas, va changer parce qu’il croise et tombe amoureux d’une jeune occidentale interprétée par Barbara Stanwyck (c’est elle qui doit se marier au début du film avec un docteur s’occupant d’orphelins).
Pour démontrer que les principes humanistes qui anime celle qu’il aime sont des illusions, il n’hésite pas à agir comme le souhaite le personnage de Barbara Stanwyck mettant, ainsi, en jeu sa fortune et donc son pouvoir. C’est là toute l’ambiguïté du film, car si le général Yen s’humanise en aimant, ses calculs sur la nature humaine qui reste dominée par les « eaux glacées du calcul égoïste », s’avèrent exacts
et il perdra le petit royaume qu’il s’était taillé
. Le récit n’est donc que partiellement une fable contrairement à d’autres films de Capra (« La vie est belle » ou « Vous ne l’emporterez pas avec vous »pour n’en citer que quelques uns).
Comment Capra s’y prend-t-il pour faire passer son tour de force scénaristique qui voit un profiteur cynique gagné par l’amour ? En premier lieu, par la qualité de l’interprétation, de Stanwyck évidemment, mais son partenaire, le suédois Nils Asther grimé en Chinois, est convaincant. En second lieu, en menant son mélodrame, d’à peine plus d’une heure vingt, à toute allure, montrant frontalement les situations tout en teintant certaines scènes de baroquisme (le cauchemar du personnage de Barbara Stanwyck).
Le film date de 1933 et se situe donc dans la période pré-code Hays où il n’était pas encore nécessaire d’user de « périphrases cinématographiques ». On peut ainsi voir des enfants qui se font fauchés par des rafales de mitraillettes, des prisonniers exécutés à la chaîne parce qu’il n’y a plus de nourriture et... une occidentale et un asiatique qui s’éprennent l’un l’autre…
À noter que Capra retrouvera l’Asie quatre ans plus tard avec « Lost horizon ».
Un film curieux, méconnu et constamment intéressant.