Jonché d’incohérences crasses, parsemé de faux raccords et affublé d’un doublage français littéralement anarchique, c’est pourtant avec un réel plaisir de cinéphile nostalgique que l’on redécouvre pour la énième fois la prestigieuse grande évasion de John Sturges. 1962, l’âge d’or pour un certain Steve McQueen, cascadeur, pilote et charismatique comédien qui endosse ici le rôle du trublion, traînant dans son sillage une ribambelle d’acteurs maintenant presque oubliés, pour certains, dont le récemment décédé James Garner, le légendaire Charles Bronson ou encore Donald Pleasence ou Richard Attenborough. Inventif au possible, la Grande évasion est l’apogée du film chorale dans les années 60, l’équivalent d’un blockbuster actuel. Doté de moyens considérables pour l’époque, la production, le réalisateur et les scénaristes offrent une excellente comédie de guerre, un film aussi attractif qu’inoubliable, pour bien des raisons.
Si historiquement, les faits sont sensiblement difficiles à croire, peu nous importe, d’un point de vue cinématographique, la combinaison évasion, guerre, humour et ingéniosité fait des merveilles. Long, certes, le métrage est une véritable démonstration de continuité narrative. Alors qu’en termes généraux, le récit laisse entrevoir tout un tas de faiblesses, la préparation de l’évasion, dans le Stalag, est une merveille du genre. Chaque détail est habilement pensé. Chaque étape du plan, les rôles de chacun des protagonistes, sont clairement définis. L’on s’identifie donc très vite à ce petit univers tragi-comique qui voit s’enchaîner les morceaux de bravoure, les petites interventions inventives du scénario. L’évacuation d’une certaine terre du tunnel, les positions desdits tunnels dans les baraquements, le faussaire, la chapardeur, tout y passe non sans une certaine graine de folie. Disons simplement qu’il fût un temps, tout était fait pour faciliter l’immersion, alors que la technique était moindre, que les budgets ridicules en regard à ceux actuels.
Mais la Grande évasion n’est pas seulement une affaire de fuite ingénieuse, c’est aussi et avant tout un film de guerre. Si l’on peine à croire à l’intention de l’état major allemand en ce qui concerne la création du Stalag en question, il apparaît très vite que les enjeux d’une évasion sont plausibles. En temps de guerre, la motivation des officiers prisonniers pour s’évader tiennent en une notion de mettre des épines dans les pieds des ennemis. Mobiliser des soldats pour la traque de fuyards engendre une perte d’énergie certaine et influence la mobilisation de soldats à des tâches plus importantes. L’on comprend dès lors très facilement le rôle des officiers tant britanniques qu’américains entre les murs de leur improbable camp de prisonnier. La Grande évasion permet aussi de redécouvrir une scène de poursuite légendaire. En effet, habilité à tout conduire, du moins ce qui possède des roues, Steve McQueen nous sert là une toute belle scène de cascades en moto, dans les champs bavarois. Une pépite du genre ou l’on sent indéniablement les sensations promises alors que le comédien prend tous les risques du monde pour se faire plaisir.
Film d’anthologie, monument historique du cinéma de guerre, comédie attractive et très intelligente dans sa manière détaillée de narrer une spectaculaire évasion, le film de John Sturges n’a pris des rides que dans sa forme. Dans le fond, son film reste une référence imbattable en matière tant d’évasion que de scénario mettant en lumière un travail d’équipe. Espérons simplement que le Hollywood actuel n’y voit pas une malheureuse opportunité d’en faire un remake. Culte malgré ses incohérences. Inoubliable malgré sa naïveté. Le cinéma évolue mais laisse toujours derrière lui de très beaux moments de liesse. 16/20