Ce grand film est l’histoire, sur plus de quarante ans, d’une femme Japonaise issue d’un milieu rural arriéré qui va tenter de s’émanciper et de « réussir » à la ville. Cette femme, Tome, va donc avancer et gravir des échelons dans la société comme l’insecte du premier plan gravit un monticule, avec acharnement et constance, mais sans conscience. Elle essaie aussi, en vain, de sortir d’une sorte de malédiction cyclique, à caractère atavique, qui fait que bâtarde, elle donnera naissance à une fille bâtarde, qui fera de même. Cette histoire est clairement ancrée dans la « grande histoire », celle du Japon sur la même période (les évolutions sociales, la guerre, l’occupation Américaine, …). Les pulsions sexuelles et le désir (désignés dans la secte à laquelle Tome adhère comme « péché de luxure ») ont une grande place dans le film, et en constituent l’un des moteurs. Dans ce cadre apparaît un discours très « féministe » de Imamura, qui montre et dénonce les atteintes au droit des femmes à disposer d’elles même, la banalisation du viol et les pratiques régulières du harcèlement et des attouchements.
La forme du film est originale. Loin d’une narration conventionnelle et fluide, Imamura a choisi de montrer des épisodes représentatifs de ces histoires. Des arrêts sur image assortis d’un bref commentaire en voix off les ponctuent, ainsi que des images d’archive de l’histoire Japonaise. De nombreux actes importants se déroulent au second plan, et leur intensité n’est révélée par le regard porté par leurs témoins, plusieurs fois des enfants. Ainsi le réalisateur tient le spectateur à une certaine distance, par un regard neutre, dénué de tout lyrisme, et le film s’adresse plus à l’esprit qu’au cœur. Cette démarche, entomologique comme l’indique le titre original du film (chronique entomologique du Japon), si elle intègre des très beaux plans (la rivière que regarde Tome et qui symbolise le temps qui passe, l’apparition du bulldozer qui marque l’irruption de la modernité dans le milieu rural……), a l’inconvénient de faire moins de place à l’émotion, même si elle apparait dans quelques séquences magnifiques comme celle du père demandant du lait à sa fille, et de laisser le spectateur un peu froid.
Le film se clôt sur un plan à la fois anodin et magnifique : pieds nus, dénuée de tout, Tome avance encore, même s’il s’agit d’un retour, en essayant maintenant d’éviter la boue.