Frederick Wiseman est documentariste. Il aborde ici la fiction pour la première fois. Le cinéaste explique comment ses expériences antérieures ont influencé son travail :"Quand on tourne des films documentaires, on est temoin de choses tout à fait extraordinaires, on voit des moments dramatiques très forts qui sont vécus, pas joués. Quand je regarde certains films de fiction, je trouve souvent les scènes de crise bien plus faibles que ce que j'ai vu dans le quotidien. Dans la dernière lettre au théâtre, puis dans le film, j'ai cherché à recréer l'intensité dramatique, l'intensité d'émotion que l'on peut trouver dans le quotidien. Mais pour cela, j'ai décidé de refuser tout naturalisme. Je voulais donner un sens du mystère, un sens d'une époque déjà lointaine, du temps passé : ce sont des fantomes qui viennent vers nous."
Frederick Wiseman a cherché à construire La Dernière lettre autour du visage de son actrice, Catherine Samie :"D'une certaine manière, j'ai voulu que le film soit une étude du visage de Catherine. Un travail sur la voix et un travail sur le visage. Je trouve que Catherine a un visage très beau, très émouvant. Le visage change constamment avec le jeu de la comédienne, avec le cadre, avec la lumière. Yorgos Arvanitis, le chef opérateur, a fait un travail formidable, très subtil."
La Dernière lettre est l'adaptation du chapitre 17 du roman de Vassili Grossman, Vie et destin. Frederick Wiseman l'avait d'abord adapté au théâtre à Boston, il y a 15 ans. Il l'avait ensuite monté à Paris, au Studio-Théatre de la Comédie Française.
L'intrigue de La Dernière lettre est centrée sur le monologue d'une actrice : "l'idée principale, pour moi, c'était qu'elle devait s'adresser au public comme à une seule et unique personne, son fils Vitia. Elle s'adresse à une seule personne et en même temps, son propos est beaucoup plus général, généreux et indulgent.(...)J'ai trouvé que dans La Dernière lettre, Vassili Grossman, a résumé l'histoire et la condition de millions de gens."
Depuis ses premiers films, l'oeuvre de Frederick Wiseman offre une réflexion sur la violence mais avec La Dernière lettre, c'est la plus atroce de toutes les violences qu'il aborde. A ce propos, il raconte : "Des films comme "Basic training", "Canal zone", "Manoeuvre", "Missile", etc., décrivent la violence plus ou moins "légitime" de l'Etat ![...]Il y a aussi la violence "non légitime", celle des délinquants ou des criminels dans "Juvenile delinquence" ou dans "Domestic violence"... Dans "La Dernière lettre", on a l'exemple de l'une des plus grandes violences barbares du siècle !"
Frederick Wiseman revient sur le tournage de La Dernière lettre : "le film est construit en quarante-huit scènes, chacune avec un dispositif de lumière particulier. J'avais écrit un découpage et nous avons tourné dans l'ordre, afin de faciliter le travail de Catherine. Le tournage a duré un peu moins de trois semaines, et le montage près de trois mois, ce qui est relativement court pour moi, d'autant que j'avais près de douze heures de rushes... Le montage a été absolument passionnant ! Nous avons eu un très gros travail au mixage. Car le film est entièrement en son direct."
Frederick Wiseman justifie son choix de tourner en noir et blanc : "Les ombres donnent le sens du mystère, comme je le souhaitais. J'adore le noir et blanc. Je ne peux pas imaginer ce film en couleurs. Le noir et blanc est plus abstrait, plus fort pour un thème comme celui-là."
Depuis l'adaptation à Paris de la pièce, La Dernière lettre n'avait été joué que par Catherine Samie. La comédienne l'avait d'abord joué à Paris pendant deux périodes de sept semaines puis pendant une tournée de six semaines aux Etats-Unis et au Canada.