La Vieille Dame indigne, c'est d'abord Sylvie, cette actrice française née au XIXe siècle, que l'on a toujours connue vieille et qui a marqué de sa forte présence des films comme La Fin du jour, de Duvivier, Le Corbeau, de Clouzot, Les Anges du péché, de Bresson, ou encore Thérèse Raquin, de Carné. Toujours cantonnée aux seconds rôles, il lui aura fallu attendre cette Vieille Dame indigne (son dernier film de cinéma !) pour trouver son premier "premier rôle"... C'est à la fois étonnant et frustrant. On se demande comment le cinéma français a pu ainsi passer à côté d'une de ses plus grandes actrices. Elle est magnifique et touchante dans ce film. Son personnage de veuve qui découvre sur le tard les plaisirs de la vie et dit poliment merde à sa famille lui va comme un gant. Elle incarne l'idée d'une renaissance malicieuse et gourmande. Il faut la voir regarder avec curiosité les affiches de cinéma, visiter les grands magasins en profitant des escalators, commander goulûment une glace chocolat-vanille-chantilly, se balader en calèche comme une reine, négocier le prix d'une automobile... Et surtout se lier d'amitié avec une jeune femme très libre et un cordonnier jovial qui lui proposent de belles escapades. C'est le rôle de sa vie.
La Vieille Dame indigne, c'est aussi le premier long-métrage de René Allio en tant que réalisateur. Après avoir beaucoup travaillé dans l'univers du théâtre, notamment comme décorateur, il adapte un texte de Brecht et trouve d'emblée son style : un réalisme social critique, associé à un humanisme émouvant. René Allio s'intéressera durant toute sa carrière aux "petites gens" et à l'idée d'une aliénation quotidienne entretenue par les traditions et conventions sociales. Il s'intéresse ici à une femme comme tant d'autres à l'époque, confinée dans une forme de servitude domestique, et orchestre pour elle une révolution à la fois douce et ferme. Il fait souffler un petit vent de liberté qui annonce les mouvements sociaux de la fin des années 1960. En tout cas, le fait de consacrer tout un film à l'émancipation d'une femme âgée est original et audacieux dans la société encore conservatrice d'alors. La critique de l'ordre établi est assénée de façon un peu didactique peut-être, avec les chansons à message de Jean Ferrat et les commentaires en voix off à la fin, mais tout est très juste. Formellement, c'est simple, honnête, direct. Pas sans défaut de réalisation ou de montage. Mais efficace sur le plan narratif. Le choix de commencer et de finir avec des photos, arrêts sur image d'une vie, permet par ailleurs de toucher joliment la corde sensible.