Le tournage, long de dix-huit mois, fut mouvementé et demeure entouré de mystères. Selon la légende, Murnau et son équipe auraient violé un certain nombre de tabous locaux en installant leur quartier général dans un ancien cimetière, en tournant sur des récifs sacrés et Hitu, le "chamane", aurait maudit Murnau pour tous les sacrilèges qu'il aurait commis...La légende se nourrit des incidents, plus ou moins graves, qui perturbérent le travail durant le tournage : noyades, intoxications, explosions mystérieuses. Comble du destin, Murnau décèdera d'ailleurs lui-même dans un accident de voiture huit jours avant la première de son film, à l'age de 42 ans. L'un des plus grands réalisateurs de l'histoire du cinéma n'aura donc jamais l'occasion de s'essayer au parlant. Pourtant, si l'on appréhende l'oeuvre du cinéaste dans sa globalité, on ne ressent aucun sentiment d'inachevé dans la mesure où "Tabou" semble être le chapitre ultime d'une thématique et d'une obsession. Pour Murnau, qui n'a finalement jamais parlé d'autre chose que d'amour, il s'agit d'ajouter au caractère universel de ce sentiment, l'idée de transculturalisme, mettant sur le même pied d'égalité, homme blanc soi-disant civilisé et "bon sauvage", égaux devant les tourments du coeur. Le scénario qui mêle le film d'aventure au mélodrame est, une fois n'est pas coutume chez le cinéaste, d'une simplicité presque biblique, mettant en relief une mise en scène au souffle romanesque puissant. Victime ou pas d'une malédiction, Murnau aura, avec son ultime opus, livré à la postérité un magnifique hymne au respect et à la tolérance, en permettant au public blanc "civilisé" de s'ouvrir à la compréhension de cultures autres que la sienne...