En 1987, Von Sydow jouait « un vieux » ; un beau hasard que je visionnasse Pelle le jour de ses 90 ans, ce 10 avril 2019. Il paraissait fraîchement débarqué de Fårö en arrivant sur Bornholm, sorti des bras de Bergman pour finir dans ceux d’August. D’une rive à l’autre, d’un réalisateur à un autre.
Opérant une transition discrète entre le suédois et le danois, Von Sydow et son fils Pelle Hvenegaard (un acteur nommé d’après le personnage, justement) ont gardé un peu de la marée en eux après leur immigration, et c’est peut-être ce qui les rend si malléables. Difficile de dire si c’est en bien. Les rôles sont impeccables, bergmaniens d’ailleurs, mais bavards, et portent cette flamme nordique qui éclaire les côtes scandinaves depuis des siècles.
« Le vieux » retrouve d’ailleurs la sienne, de flamme, après des interprétations alimentaires qu’il avait faites outre-océan. Et tout cela, c’est en bien, mais à trop bien faire, le film s’est privé de la place nécessaire pour ne pas que les personnages nous manquent, tout simplement. Le père et son fils font pitié, mais pas exactement à hauteur de leur potentiel ; de la même manière, les propriétaires de la ferme où ils sont employés, les couples défaits par les grossesses et autres commis deviennent transparents à trop être absents ; ayant « rempli leur rôle », ils ne le dépassent pas.
Cela arrive même au Vieux qui disparaît alors qu’on a besoin de lui pour établir les rapports de force. Il y a aussi que Pelle prend son temps pour dévoiler qu’il est un grand film, sûrement parce qu’il est trop humble dans le passage des saisons, peu attentif a son échelle, que son protagoniste est le genre humain et que la personnalité individuelle est son condiment ; une recette à la façon de Le Festin de Babette (Gabriel Axel, 1987), mais pas sur le même menu.
C’est cette humilité aussi qui tasse les drames, les laissant intacts dans leur beauté mais réduits à une signifiance réaliste et stable. Et c’est encore elle qui place l’émotion dans la simple attente ;
la mort est naturelle jusque chez le professeur bougon qui a perdu de la vigueur à chaque chahut et qui s’éteint dans la position où ses élèves affectueusement taquins le trouvent habituellement endormi
.
La curiosité morbide qui est aujourd’hui attribuée au badaud est presque noble chez ces êtres d’un autre siècle et d’une autre terre en qui se confondent la bonne volonté et l’excitation, l’horreur et la résignation devant des actes horribles. Pelle laisse filer les saisons entre ses doigts, oui, mais il a des saisons d’humeur qui n’ont début ni fin. Une nature morte exceptionnellement bien interprétée qui recrée doucement un folklore, celui d’une ferme, entre les draps de la mer et la couverture du ciel danois.
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