On ne peut le nier : Hayao Miyazaki est un monument du film d'animation. Et pour son douzième film, et qui est sans doute l'un de ses meilleurs, le réalisateur narre la traversée d'une petite fille curieuse dans un monde à part. Sous influences, Lewis Carroll pour le passage vers un autre monde, Kenji Mizoguchi pour l'épaisseur des personnages, Hayao Miyazaki bâtit un univers oligarchique, mené d'une main de fer par une sorcière aux pouvoirs étranges. Avant de bâtir un véritable univers onirique et enchanteur, Miyazaki jette ses première cartes : engouffrer des mets sans demander la permission, la surconsommation, l'élevage de porcs. Et avec souplesse, il dresse une galerie de personnages tous plus énigmatiques (les différents serviteurs, les parents gloutons, l'enfant dragon....) et fait écho aux valeurs du passé; le décor baigne dans des effluves de mythes japonais, de classicisme français, de style rococo. Circulations et métamorphoses apparaissent comme les bases du Voyage de Chihiro. Tout le film est habité par cette idée de changements perpétuels, contredite narrativement par un des tours de force de Miyazaki qui consiste à faire du voyage un acte immobile, et davantage une expérience identitaire que purement physique. Le voyage qu'entreprend Chihiro n'a rien d'une épopée classique propre à toute quête initiatique, et très peu de déplacements ont lieu au sein de l'oeuvre. Bien au contraire, le film ne cesse de montrer l'importance de conserver une identité propre, qui s'est construite sur notre expérience de la vie et le respect des valeurs qui nous constituent. Chez Miyazaki, la progression vers l'âge adulte ne consiste pas en un abandon total de l'enfance, et ne trouve aucune satisfaction dans la brutalité d'une rupture. Son cinéma est affaire d'additions plutôt que de soustractions, d'incorporations plutôt que de délaissements, un peu à l'image du Sans-Visage qui engloutit d'autres personnages pour survivre. Même le spectateur semble contaminé par cet effet, puisque voir un film de Miyazaki consiste en cette rencontre choc entre deux états, c'est retrouver son âme d'enfant devant un cinéma aux considérations ô combien adultes. Ainsi, à travers un univers poétique et renversant, le réalisateur ne mise pas sur les mouvements, mais plutôt sur la beauté, et l'esthétique, jusqu'à une totale adéquation entre le fond et la forme. C'est ainsi que la petit Chihiro, au début capricieuse, grandit dans un monde qui est pourtant totalement enfantin. La transformation de la jeune fille est d'autant plus belle qu'elle se révèle totalement à nous, spectateurs qui pouvions trouver Chihiro un peu anodine au début, et qui au fur et à mesure de l'avancée du film reconsidérons notre regard sur elle pour ne pouvoir qu'être totalement attachés à cette figure dont la beauté est finalement bien plus éclatante et appréciable que n'importe quelle splendeur physique, puisqu'elle se base sur la découverte d'un caractère fort et généreux, de valeurs morales d'un humanisme absolu. On finira sur la BO, splendide et qui colle bien à cet incroyable univers que Miyazaki a su faire naître. Ainsi, Le Voyage de Chihiro démontre le talent du réalisateur japonais, et il d'une beauté rare et d'une poésie qui nous laisse vaguer tout le long. Grandiose, et unique en son genre.