L’étrange M. Steve est un film vraiment très peu connu, ayant sombré dans l’oubli peut-être à cause de l’absence d’un réalisateur renommé derrière la caméra. C’est pourtant un très solide polar, qui a fort bien vieilli.
Le film séduit d’abord par son casting réussi. Philippe Lemaire, prolifique acteur un peu méconnu de nos jours endosse parfaitement le rôle de cet employé de banque qui par naïveté, par espoir aussi et par amour finit par se faire embrigader dans le banditisme et les affaires louches. Il est idéal dans son personnage, et il fait face à un classieux Armand Mestral, le bandit à l’ancienne comme on les aime, classe, viril, élégant même lorsqu’il te menace de mort ! A ses côtés il y a du lourd. Encadré par son homme de main, campé par Lino Ventura pas encore auréolé de ses grands rôles, et de Jeanne Moreau, son ami et un peu maîtresse sans doute, resplendissante. Sa première apparition est détonante de modernité. Néanmoins il ne faudrait pas oublier aussi le charme d’Anouk Ferjac, que je trouve personnellement presque plus charmante encore. Mais d’un jeu un peu moins naturel.
Beau casting et surtout des acteurs qui tiennent leur rang avec des personnages bien écrits. L’écriture du film est d’ailleurs un point important de celui-ci. L’Etrange M. Steve est un métrage rigoureusement écrit, porté par les dialogues affutés de Frédéric Dard, d’une grande modernité et d’un naturel certain, et porté par une histoire bien menée. Si on pourrait presque avoir l’impression d’avoir trois films en un, finalement ça passe bien. Quelques baisses de rythme, une narration un peu saccadée n’enlève pas grand-chose à l’intelligence de certaines situations (l’interrogatoire de la police), à l’humour discret, et à l’élégance du tout. Le métrage se laisse suivre avec un plaisir certain, prenant son temps pour installer les choses mais n’ennuyant jamais car c’est toujours subtil et intelligent. Une fin un peu facile peut-être, mais bon, rien de désastreux non plus. Il y a un côté « ellipse » un peu dérangeant.
Sur la forme c’est aussi brillant. J’ai été très surpris de voir une mise en scène bien plus affutée que ce que je craignais avec un inconnu derrière la caméra, et surtout l’assistant d’un André Berthomieu qui ne m’a encore jamais vraiment enthousiasmé. Il y a de vraies belles séquences, notamment dans le final, mais pas que. Il y a par exemple cette transition entre deux scènes différentes par le geste de deux personnages buvant un verre. C’est original et ça fonctionne très bien. Pareillement le métrage profite d’un noir et blanc réussi, exploitant par exemple très bien les reflets lumineux des carrosseries, et jouant sur la texture des matières (le pyjama de soie ou de satin de Moreau), et les décors sont très convaincants. Les intérieurs sont soignés, et le final dans la brume ou sur le port sont vraiment bon. Enfin, je ne peux pas terminer sans évoquer le travail sur la bande son. Voilà un métrage des années 50 avec une bande son très solide, très audacieuse, et surtout très bien intégré à l’image.
Honnêtement, je n’attendais rien de cet Etrange M. Steve, film oublié que je supposais être un polar un peu vieillot et démodé. Finalement c’est un film très moderne qui fonctionne encore très bien. 4