Louis Hémon est un écrivain français né à Brest en 1880 et décédé en 1913 au Canada Français à seulement 32 ans, happé par une locomotive alors qu’il venait d’arriver à Chapleau (Ontario). L’écrivain qui y avait exercé différents métiers n’était arrivé au Canada que depuis deux ans. Le jeune auteur avait néanmoins eu le temps d’achever « Maria Chapdelaine », un roman dit de « terroir » qui demeure encore aujourd’hui le plus connu du Canada francophone. À ce titre Louis Hémon, de manière un peu abusive, est souvent cité dans la liste des écrivains canadiens francophones. Hémon qui ne verra pas son livre paru en 1914 ne profitera pas non plus de son immense succès. Tout comme il ne saura pas que tous ses écrits seront finalement édités à titre posthume. « Maria Chapdelaine » qui jouit d’une aura incontestable bénéficiera de quatre adaptations cinématographiques (1934, 1950, 1983 et 2013).
C’est Julien Duvivier qui réalisera la première d’entre elles. Déjà très confirmé avec 34 films à son actif dont 24 muets, il s’embarque avec toute son équipe pour Péribonka au Québec. Le tournage en extérieur nécessite à ses côtés la présence de quatre chefs opérateurs dont Jules Krüger. Julien Duvivier qui a écrit lui-même l’adaptation, demeure fidèle à l’intrigue relativement prosaïque du roman s’articulant essentiellement autour des conditions de vie très rudes des colons français venus tenter leur chance à la frontière du Grand Nord et d’un triangle amoureux qui va permettre au réalisateur de pianoter avec délicatesse sur une veine pessimiste et doloriste. Signe des convictions catholiques très enracinées qui teintent le plus souvent le cinéma du réalisateur.
Ode à la nature qui sera toujours plus grande et plus forte que l’homme, « Maria Chapdelaine » montre qu’au-delà des souffrances qu’elle peut imposer, Dame Nature en sus de la splendeur des paysages qu’elle offre, permet souvent de vertébrer une existence. Sous de telles latitudes, la solidarité s’impose et l’épanouissement personnel ne peut s’accomplir qu’à l’intérieur d’un collectif vital pour la survie individuelle quand il ne doit pas carrément s’effacer. Des valeurs cardinales qui se sont érodées au fil du temps sous les coups de boutoir d’un progrès technologique qui un siècle après la parution de « Maria Chapdelaine » est en train de modifier sensiblement l’anthropologie humaine avec l’entrée à marche forcée et sans réels garde-fous dans la voie hasardeuse du transhumanisme.
Maria Chapdelaine, interprétée avec délicatesse et retenue par Madeleine Renaud, si elle rêve à un bonheur possible face aux trois prétendants (Jean Gabin, Jean-Pierre Aumont et Alexandre Rignault) qui se disputent sa main, n’ignore rien des contraintes qui pèsent sur ses épaules liées à la poursuite parfois irraisonnée du rêve de ces exilés français qui depuis près de 300 ans se cherchent une identité propre à l’intérieur du vaste continent. Son rêve à Maria Chapdelaine, que Julien Duvivier présente en surimpression du visage virginal de Madeleine Renaud, c’est François Paradis (Jean Gabin), trappeur de son état. Un « homme dépareillé » comme on dit dans la langue si fleurie du Québec dont Duvivier a souhaité à dessein conserver l’accent et quelques éléments significatifs. Un homme admiré de tous qui se singularise par son franc-parler, sa soif d’indépendance et sa témérité. Une témérité poussant parfois à l’imprudence qui sera au cœur du dénouement de l’intrigue amoureuse.
Un Jean Gabin dans un rôle secondaire certes mais dont le charisme est déjà évident. Julien Duvivier saura s’en souvenir qui un an plus tard avec « La Bandera » propulsera l’acteur vers une célébrité qui ne le quittera plus. Le film réalisé dans une veine naturaliste quelquefois même documentaire souffre selon certains d’une certaine naïveté narrative et d’effets spéciaux plutôt rudimentaires. Sans doute, mais on peut aussi se demander si ce n’est pas justement là que se nichent toute la fraîcheur, la force et le charme de « Maria Chapdelaine » ?