En arrivant à la fin du film, j’ai pensé que ce film aurait pu être aussi bien tourné par Alfred Hitchcock qu’Henri-Georges Clouzot. Car d’après ce qu’on voit ici, il y avait tous les ingrédients que le réalisateur britannique affectionne et maîtrise à la perfection. Eh bien pour la petite histoire, sachez que les auteurs du roman adapté pour "Les diaboliques" avaient été démarchés par le maître du suspense. J’ignore comment le choix final a été décidé, mais le fait que Clouzot ait réussi à acquérir les droits a permis au cinéma français de commencer l’année 1955 en trombe, avec un classement final dans le top 10 de l’année en matière de nombre d’entrées en France, et rien que pour cette information, on devine qu’il mérite le plus vif intérêt, et en bien des points. Ça ne l’a pourtant pas empêché de retomber plus ou moins dans l’oubli, et ce en dépit de son immense qualité, tant au niveau de la réalisation que du jeu d’acteurs, sans oublier l’histoire en elle-même (bien que celle-ci soit différente du roman d’origine principalement par l’identité des protagonistes). Mais alors, de quoi s’agit-il donc ? Eh bien je ne saurai que trop vous conseiller de ne rien savoir du film avant de le visionner. Snobez toute bande-annonce, tout extrait, et ceci est valable pour le synopsis ! Et ce ne serait que respecter le petit tableau final qui dit ceci : « Ne soyez pas diaboliques ! Ne détruisez pas l’intérêt que pourraient prendre vos amis à ce film. Ne leur racontez pas ce que vous avez vu. Merci pour eux. » C’est sans aucun doute dans cette optique-là que le cinéaste a tenu le tournage dans le plus grand secret. En revanche, ce que je puis dire, c’est que les premières minutes laissent bien des perspectives. Henri-Georges Clouzot nous emmène tout droit dans l’institution Delassalle, laquelle abrite une école privée et un pensionnat réservés aux élèves garçons… Alors une question se pose, qui seront ces fameux diaboliques ? Je vous rassure, vous aurez la réponse, mais sachez que l’habit ne fait pas forcément le moine !
Ou alors ils le sont tous, chacun à sa façon.
Je vous laisse le soin d’en juger par vous-mêmes mais ne comptez pas sur moi pour vous donner le moindre indice là-dessus. Toujours-est-il qu’une fois entrés dans cet établissement, nous constatons une réalisation dynamique par l’alternance de séquences sur les différents personnages. Cela présente l’avantage d’implanter le contexte, avec en prime des thèmes en filigrane, un filigrane qui a pris son importance au vu de la persistance de ces thèmes qui se perpétue jusqu’à aujourd’hui, et qui probablement va se poursuivre au cours des décennies à venir : la mal-bouffe dans les cantines, les économies faites au détriment de la qualité, la maltraitance… L’époque a beau être lointaine (quel plaisir de voir les premières 2CV fourgonnettes, les anciens bus parisiens à plate-forme arrière, ces énormes panneaux indicateurs tout en béton recouverts d'émail, les lits en fer forgé… que des pièces de collection de nos jours !), ces sujets-là sont malheureusement toujours d’actualité. Tout comme le sujet principal du film, du reste. Certes "Les diaboliques" a pris un léger coup de vieux par l’image et les voix un tantinet égrillardes malgré sa restauration récente (2017), mais au moins ça contribue à nous immerger parfaitement dans le contexte de l’époque. En ce domaine, le jeu d’acteurs finit parfaitement le boulot. En ce temps-là, force est de constater que bon nombre de personnes étaient enclines aux manières, à commencer par Vera Clouzot dont le jeu pourrait être considéré comme étant un peu trop théâtral. Mais elle s’en sort bien. Plus que bien même, dans le sens que c’est elle qui nous gratifie de LA scène mémorable du film dans ce long couloir. LE point culminant du suspense. Cette scène est également la vitrine parfaite du savoir-faire du réalisateur par l’absence totale de musique durant l’intégralité du film (excepté le générique du début et le clap de fin), ce qui permet de meubler ces corridors par le bruit d’une respiration stressée et le grincement inquiétant des portes. Quand ce ne sont pas les voix d’enfants ou le bruit des talons en d’autres circonstances… L’air de rien, un gros travail sur la bande son a été fait ! Mais je m’égare et j’en étais à… à… ah oui, au casting. C’est là un des nombreux intérêts du film. Vous y verrez les regrettés Johnny Hallyday tout gamin (non crédité) et Michel Serrault qui faisaient tous deux leurs premiers pas au cinéma, ainsi que Jean Lefebvre et Yves-Marie Maurin (le frère de Patrick Dewaere) encore à leur début de carrière. Au fil des années qui ont vu grandir ceux que je viens de citer dans la notoriété, la distribution de "Les diaboliques" a gagné son statut de prestige, alors que Simone Signoret se partage l’affiche avec Vera Clouzot et Paul Meurisse. Ce dernier est absolument superbe en homme tyrannique, tant et si bien qu’il mérite tous les qualificatifs pourtant peu enviables
(en perpétuel mode chameau, il mérite amplement le titre d’odieux personnage, de mufle, de goujat et de toute autre considération similaire)
. Mais il faut aussi parler de Charles Vanel, excellent dans la peau du commissaire divisionnaire Fichet à la retraite à qui on ne la fait pas. D’ailleurs je me demande si ce rôle n’est pas quelque part le père spirituel de l’inspecteur Colombo
avec sa manie de paraître faussement tête en l’air et de poser des questions bien plus pertinentes qu’elles n’en ont l’air
. Pour conclure, je dirai que "Les diaboliques" mérite vraiment le coup d’œil, d’une part pour sa qualité de mise en scène et de réalisation, et pour
(« au sens matériel du mot »)
son scénario machiavélique d’autre part. Pas étonnant que ce film français ait marqué l’année 1955 au fer rouge ! Mais si je ne décerne pas la note maximale, c’est parce que je ne peux pas me sortir de la tête que, et c’est très hypothétique, Alfred Hitchcock aurait peut-être fait encore mieux, ce qui n’aurait pas été une mince affaire.