Rareté à la télévision, ce grand film, triomphe au box-office de 1947, est méconnu du public d'aujourd'hui. Force est de constater que par l'universalité du sujet abordé, au travers du destin remarquable de Vincent de Paul, qui passera sa vie à lutter contre la misère et à vouloir donner droit de cité aux exclus de tout poils par une société profondément individualiste et égoïste, le film n'a absolument pas vieilli et reste d'une modernité étonnante en ces temps de crise économique et d'individualisme exacerbé.
La réalisation de Maurice Cloche, classique dans la forme, s'efface pour souligner la force des situations, évitant au passage de tomber dans le piège de la reconstitution empesée et grandiloquente de ce type d'hagiographie historique. Toutefois, on peut regretter que le scénario de Jean Anouilh et Jean Bernard-Luc soit écrit comme une succession de tableaux sur divers moments du destin de ce grand homme. Ce qui n'enlève en rien, l'émotion et la cohérence qui se dégage de l’œuvre entière. D'autant que les dialogues de Jean Anouilh sont d'une beauté et d'une intelligence profonde et rare.
On peut aussi leur reprocher de ne pas nous expliquer concrètement le contexte historique. Cependant, le film expose avec réalisme les conditions de vie et d'hygiène difficiles et miséreuses dans les milieux populaires et les conséquences sociales de la pauvreté. Je note qu'il y a peu de films, voir pas du tout, qui l'aborde de manière aussi frontale pour cette époque de l'histoire de France. Au final, on se dit que les réactions des plus riches et des gens de pouvoir ont peu évolué depuis cette époque, même si aujourd'hui nous avons un plus grand confort de vie: la séparation des classes sociales reste une évidence.
La scène où Vincent de Paul (Pierre Fresnay) est convoqué par le chancelier Séguier (Pierre Dux) est révélatrice: les plus riches et les gens de pouvoir ne font que "nier" l'existence de la pauvreté en essayant de la rendre "invisible" pour éviter toutes responsabilités et s'en laver les mains, en culpabilisant cyniquement celui qui tente de redonner de la dignité et de la valeur aux plus pauvres. Tout comme la scène où Vincent explose de colère face à ses puissantes et riches donatrices, incapables de compassion à l'égard d'un nourrisson abandonnée par une mère prostituée, parce que c'est un enfant "indigne" qui ne mérite pas de vivre... Un des grands moments du film: il faut les voire toutes affligées par la honte !
Je ne peux pas finir sans parler de Pierre Fresnay et de son interprétation magnifique de Saint Vincent de Paul, qu'il n'interprète pas mais qu'il incarne véritablement, avec présence, charisme et sobriété.