Pour faire simple, ce film se compose de deux parties bien distinctes : la première (qui dure 30 minutes environ) est un pur chef-d'œuvre, le génie comique de Louis de Funès sous son plus beau jour (Fufu qui, soulignons-le, a participé lui-même à l'écriture du scénario et à la réalisation de ce film dont il a eu l'idée originale). La seconde partie est un navet, ou plutôt une banale comédie policière et d'action sans grand intérêt - c'est du moins ce goût amer qui demeure chez le spectateur au sortir de ce film, tant le contraste entre les deux parties est saisissant... Dans les 30 premières minutes, d'une densité comique exceptionnelle, Louis de Funès déploie toute la richesse de son art à la perfection (avec autant de maestria que dans Oscar, c'est dire !) et dirige à merveille sa brigade d'acteurs secondaires, faisant éclore une succession de moments cultes
("Muskatnuss, Herr Müller !", la scène du radis, la séance de répétition et la danse folle qui n'est pas sans rappeler celle de Rabbi Jacob sorti sept ans plus tard, sans oublier l'hymne -"Votre violon, il joue d'la flûte ?"-, entre mille autres choses toutes plus hilarantes et mémorables que les autres)
, qui suffisent à nous faire aimer ce film. Une telle capacité d'innovation et une telle maîtrise de la totalité des aspects du comique - lui qui, en plus de nous bombarder de répliques cultes, nous laisse imaginer la brillante carrière qu'il aurait pu avoir dans le cinéma muet - ne peuvent que laisser admiratif. Toujours dans cette première partie, le personnage éternel de De Funès, ce chef corrompu et hypocrite, cruel avec les plus faibles
(sauf avec son fayot, "mon p'tit Roger")
, profitant et abusant de son pouvoir mais se rappelant sa corpulence dès qu'il se confronte à des gros muscles
(ici, ceux du chef cuisinier), ou riant à la blague du ministre avant même que celui-ci l'ait dite, sous les yeux effarés du pianiste honnête (qui s'apprête à résister dans l'ombre)
est ici mis en scène et interprété avec une efficacité telle qu'il s'impose parmi les rôles les plus mémorables de la carrière du grand Louis.
Seulement voilà... tout s'effondre au bout de 30 minutes, lorsque
le président disparaît et que
commence une pseudo-enquête policière menée par le commissaire divisionnaire Bernard Blier (qui, disons-le tout de suite, ne tient pas ici son plus grand rôle, bien qu'il parle toujours avec cette gouaille et ce verbe qui nous feraient prendre les dialogues de Jean Halain pour du Michel Audiard), enquête dans laquelle Louis de Funès ne sait plus où donner de la tête, et perd soudainement toute sa puissance comique...
Finalement, Le Grand Restaurant donne l'impression d'être un film inachevé, quelque chose qui s'annonçait comme la comédie du siècle, mais qui, à cause d'une bombe sous la table présidentielle, est pulvérisée pour n'être plus, dans ces deux derniers tiers, qu'un bon petit film sympathique - mais frustrant, terriblement frustrant...
Si je n'avais donc qu'un conseil à donner si vous voulez voir ce film : ne ratez surtout pas le début !