Comme Raphaël ou le Débauché, ne devient un grand film qu’au milieu, les spectateurs qui ne vont pas plus loin sont déçus.
Encore une comédie avec des jolies filles, des jolies robes et du joli marivaudage se disent-ils et en effet Brigitte Fossey, Anne Wiamzesky, Isabelle de Funès et Hélène Arié, version 70, sont bien jolie et leurs marivaudages biens riants. Encore une belle veuve réfrigérée telle un Lys dans la Vallée (superbe et excellente Françoise Fabian presque en pleine maturité). Encore un débauché tourmenté à la Don Juan, Lorenzaccio aux deux visages (l’hyperséducteur hyperséduisant Maurice Ronet).
Ceux qui n’ont pas tout vu disent " encore un MIchel Deville léger " mais ils ont tort.
Ils n’ont pas vu qu’à la cinquante-et-unième minute, Françoise Fabian, comme dans un rituel face à la vitre et parlant à son crucifix, récitant les beaux monologues intérieurs (aussi beaux que ses dialogues) fait entrer un personnage inattendu : la Passion et ouvre un drame. On roule alors vers la mort à tombeau ouvert, exactement comme dans un opéra de Bellini ou une tragédie inexorable de Racine. Françoise Fabian surpasse la déchéance de Livia Serpieri (Alida Valli) dans « Senso » et Raphaël de Loris est bien plus profond que l’imbécile Malher interprété très mal par Farley Granger dans le même film de Visconti.
Et surtout le trio Vincenzo Bellini (compositeur d’opéra 1801-1835 à qui toute la musique de film est empruntée avec génie), Michel Deville (qui comme tous les grands artistes sait faire place sobrement aux équipes qui gagnent) et surtout la scénariste-dialoguiste et -peut-être plus encore ici- monteuse Nina Companeez donne à la seconde partie un rythme infernal ou la musique s’accorde bien mieux au thème de l’amour-à-mort (comme on dit textuellement dans Tristan) que le lourdingue Brückner et que Suso Cecchi d’Amico, la scénariste de Visconti, dont les longueurs ont été souvent mieux inspirées que dans Senso.
Bref, Deville-Companeez c’est mieux que Visconti d’Amico. Enfin, mettons cette fois-ci du moins …
La productrice Mag Bodard, certes très audacieuse mais courant comme après un bon succès de temps en temps, et les auteurs avaient choisi le coupe Catherine Deneuve – Alain Delon. Incroyable mais vrai. Or dans les supplémentsde ce bon DVD Elephant-Gaumont, Françoise Fabian raconte son travail acharné sur les dialogues avec Ronet.
Le cinéma français a donc échappé à un désastre grâce à un chef d'oeuvre.