Voici donc l’un des films les plus controversés de la décennie 1990-2000, réalisation d’Oliver Stone, quelque part entre la mise en scène de sa trilogie sur la guerre du Vietnam. Le célèbre cinéaste, qui n’avait jusqu’alors jamais affiché une telle rébellion artistique, adapte un scénario de Quentin Tarantino, quand bien même ce dernier s’offusque de sa participation au projet. Soyons clairs, Tueurs nés n’a pas plu à tout le monde à sa sortie, en 1994, et ne plaît toujours pas à une large majorité 20 ans plus tard. Pour autant, c’est du moins mon avis, rare son les cinéastes à avoir réussis à capter autant d’animalité lors d’une longue séquence d’émeute, peu importe le contexte d’ailleurs. Il est vrai que la première moitié du film, sorte de relecture du mythe Bonnie and Clyde sous acide n’est pas foncièrement captivante, de loin s’en faut, mais la seconde partie, quant à elle, livre quelques scènes parmi les plus violentes, les plus inspirées du cinéma contemporain.
Le sujet étant bien entendu sujet à polémiquer, il convient ici de situer les méchants, les gentils et le moteur de toutes les exactions ayant été exécutés par ce qu’Oliver Stone nous présente comme étant le couple le plus médiatique du moment. Mickey et Mallory Knox sont deux laissés pour compte, abusés ou tabassés durant leur jeunesse, et voilà qu’un beau jour, follement amoureux l’un de l’autre, ils sillonnent les Etats-Unis en laissant plus de cinquantaine de morts derrière eux. Mais ce n’est pas réellement ce qui préoccupe le réalisateur, qui préfère s’attarder sur le voyeurisme pervers de la presse ou encore la fascination morbide d’un enquêteur sur les traces du duo de meurtriers. En sommes, les médias, incarnation de pouvoir public absolu en la personne détestable mais hautement symbolique de notre ère de Robert Downey Jr, impeccable et déjanté, est le moteur même de cette perversion. Certes, les deux tueurs n’ont d’abord pas été motivés par la notoriété, mais derrière les barreaux, pouvoir procéder à une ultime révérence malsaine devant une presse malsaine, c’est du pain béni. A vouloir montrer le mal absolu à un public curieux, celui-ci se déchaîne au grand dam d’un directeur de prison dans la tourmente, excellent Tommy Lee Jones.
Ultra-violent, immoral, souvent excessif, Tueurs nés n’est pourtant, comme il pourrait paraître l’être, un produit visant à l’apologie de la violence. A l’instar de Scarface, qui était pour rappel un scénario d’Oliver Stone, le film développe un sujet en passant par la case violence gratuite. Si les moralistes ne verront en Tueurs nés qu’un puissant film immoral plein de complaisance, d’autres y verront sans doute un douloureuse critique de notre soif de tout savoir. C’est bien le propos visé par le réalisateur, même si la forme ne met pas tout le monde d’accord. Indépendamment de ce ramdam autour du film, soulignons tout de même qu’en terme de mise en scène, hormis lorsqu’il s’égard sur le chemin de trip hallucinogène perturbant, Oliver Stone fait un travail remarquable. Comme mentionné plus haut, l’interview final de Mickey et l’émeute qui s’en suit sont d’une rare puissance visuelle. On pourra cité aussi une dernière séquence d’une rare cruauté mais pourtant jouissive.
En définitive, que l’on aime ou non le film d’Oliver Stone, il est incontestable que voilà une œuvre difficilement évitable dans le paysage cinématographique des années 90. Mais le film est surtout un véritable moteur pour la carrière de son acteur principal, l’excellent Woody Harrelson qui trouve là le rôle de sa vie. Quant à Juliette Lewis, elle ne confirmera véritablement jamais son excellente interprétation de Mallory Knox. 15/20