Des années qu'on me parle de Tueurs nés; trop violent, juste génial, le film divise autant qu'il fascine ou répugne, faisant partie intégrante des grandes oeuvres qui ne font pas l'unanimité. De grande réputation, il promettait monts et merveille : le couple Woody Harrelson et Juliette Lewis face à Tom Sizemore et Tommy Lee Jones, le tout dirigé par Oliver Stone sur un script initial de Quentin Tarantino; comment ne pas rêver face à pareille carte?
De ce que promettait initialement le film, ne reste qu'un sentiment amer de déception couplé à un sérieux manque de finesse de l'oeuvre même; absolument bourrin dans sa manière de dénoncer ce qu'il critique, il n'y va jamais par quatre chemin, ne perdant pas son temps en habileté quand il peut tout démonter au bulldozer.
Soucis posé (d'ailleurs plutôt simple) : dénonçant la stupidité du voyeurisme américain et la laideur des moeurs du pays par cette même gratuité de la violence, par la frontalité visuelle de ses émissions de télé choquantes, Tueurs Nés devient aussi laid que ce qu'il dénonce par les procédés qu'il utilise : caméra constamment en oblique (c'en est insupportable), couleurs criardes quand on ne tombe pas sur des filtres sentant mauvais les années 90 (on pense notamment aux suites désastreuses de The Crow), passage de la couleur au noir et blanc sans autre raison valable que la volonté de pourrir la photographie déjà bien amochée.
A cela s'ajoute un montage parkinsonien des plus agressifs et propice à la crise d'épilepsie; bourré de flashs de couleurs abrutissants, le film ne trouve aucune logique dans l'agencement de ses images, passant d'un personnage à l'autre, revenant sur des personnalités déjà mortes sans avoir le sens d'un The Crow ou d'un Memento, prônant le vulgaire plutôt que l'efficacité de la photographie habile d'un True Romance.
Alors on accepte que la volonté soit de dénoncer un fait par l'imitation de ses travers les plus abjects; on passe aussi sur l'ultra-violence chère aux peuples en manque de sensations fortes; on oublie aussi le surjeu de certains acteurs, perdus dans les couloirs du temps et de la nuance; on fait feu de tout bois pour se concentrer sur le sens même du film, sur la pertinence de son propos.
Et si l'on donne aux images le sens que l'on veut, nul doute que le côté jouissif (volontaire ou non) du film de Stone jure cruellement avec le propos qu'il met en évidence. Car si sa première partie montrera une aversion certaine à propos des actes de ses deux anti-héros, cette manière de justifier leurs agissements par un passé douteux, puis de les pardonner (voire de les encourager) dans le second acte marque un certain paradoxe avec la dénonciation évoquée précédemment : s'il filmera le public comme une foule de fauves en quête de toujours plus de sang à voir couler, il mettra aussi tellement d'honneur à inverser les rôles, à rendre les tueurs attachants et les forces de l'ordre diaboliques (ne citons pas les journalistes, parfaitement parodiés), qu'on se demandera si le propos du film n'est pas, finalement, une excuse pour montrer une violence gratuite, décomplexée et excessive que n'aurait pas renié un certain Tarantino (avec plus de sens et de second degrés).
Affreusement hystérique, Tueurs nés tente de cacher le manque de rythme de sa première partie derrière toute une ribambelle de giclées de violence et de hurlements insupportables, cédant constamment à la facilité pour ne pas avoir à chercher à faire autre chose que d'être criard. Et si le couple fonctionne plutôt bien (l'alchimie entre l'impressionnant Harrelson et la Harley Quinn du cinéma d'auteur, soit Juliette Lewis, est palpable), leur développement, toute l'attention qui leur est apportée, voir même la compassion qu'essaie de leur donner Stone, ruine complètement la volonté, comme dit plus haut, de dénoncer les travers de l'Amérique.
La volonté était peut-être de faire du spectateur un public pareil à celui que l'on croise dans Tueurs nés; sûrement qu'il voulait jouer avec, le rendre pervers, coupable d'apprécier un couple d'humains si affreux alors qu'il ne souhaite qu'un happy end pour deux tueurs en série. Ou alors, et j'y crois plus, Oliver Stone n'aurait-il pas voulu, tout simplement, faire un divertissement décomplexé, jouissif et immoral sur une bande d'humains tarés qui, petit à petit, devront tous mourir dans d'atroces souffrances? Et s'il est une force certaine au film, c'est que chacun peut en faire sa propre interprétation. Dommage qu'on ne l'aime pas autant que ce qu'on peut en analyser...