En l’espace d’une année, 1986, Oliver Stone, jusque là réalisateur de troisième zone (mais scénariste réputé) va enchaîner pas moins de trois films ( !), qui vont s’avérer être les trois sommets de sa carrière : Salvador, Platoon et Wall Street ! De loin le plus méconnu, « Salvador » n’en possède pas moins de brio et de force que les deux autres. C’est une plongée éprouvante dans la répression Sandiniste, pilotée par les Etats Unis qui imposent au pays en pleine effervescence révolutionnaire, en toute impunité, une junte d’extrême-droite, un régime dictatorial et criminel. Cette intervention donnera lieu à une répression des plus sauvages, véritable traumatisme national. En vrai franc-tireur, Stone démonte un à un les mensonges et les manipulations auxquels se livrent les Etats-Unis et nous plonge dans les pires exactions de cette junte sauvage. Mais, au-delà de la fulgurance du discours politique et de l’intensité dramatique du récit, c’est sa densité humaine qui impressionne. La petite galerie de personnages qu’il dépeint est d’une grande justesse (autant du côté de la population que du corps diplomatique) et apporte une large palette humaine contrebalançant la dimension édifiante du film. Mais c’est surtout son incroyable personnage principal qui emmène le film dans ses hauteurs : Dans l’une de ses meilleures performances, James Wood compose un hallucinant photographe vivant sur la brèche, accro du risque, à la limite suicidaire, évoluant dans les zones morales les plus floues. Son personnage, foncièrement ambivalent (mélange de cynisme et d’angélisme, il est autant attiré par le souffre qu’animé par le désir de vérité), est un guide idéal dans le chao de cette répression ou la rhétorique politique justifie l’horreur. Cette ambivalence (tellement rare dans le cinéma meanstram américain des années 80 !) lui donne une incroyable richesse, une humanité vibrante - ses errements moraux rendent son combat final pour sauver sa femme d’autant plus bouleversant. A l’image de ce film brillant, sans concession, ouvert sur la complexité humaine et assumant sans ciller sa schizophrénie (à la fois brûlot politique et spectacle hollywoodien), James Wood nous emporte dans un tourbillon d’émotions qui nous laissent pantelant. A redécouvrir absolument.