La Nuit Américaine est certainement, de par ses innovations et de sa mise en scène, une des mises en abîme les plus réussies de l’histoire du cinéma. Et par la même occasion une véritable mine d’or pour tout âme cinéphile.
Monument français et international incontesté, La Nuit Américaine de François Truffaut aura influencé bien des cinéastes depuis sa sortie dans les années 70. Retour sur cette célèbre comédie dramatique, lauréat de l’Oscar du meilleur film étranger en 1974, soit un an après sa sortie.
Tout d’abord, que le titre du film ne nous trompe pas : il désigne un procédé courant au cinéma qui consiste à mettre des filtres devant l'objectif des caméras pour tourner des scènes en plein jour censées se dérouler en pleine nuit. Un procédé qui sera utilisé maintes fois au cours du long-métrage.
Dans les studios de la Victorine de Nice (rebaptisées Riviera depuis), le tournage d’un film, nommé Je vous présente Paméla démarre contant l’histoire d’une jeune fille anglaise qui tombe amoureuse du père de son mari et part avec lui, sous la direction de Ferrand, personnage du réalisateur incarné par François Truffaut. La vedette du film, Julie Baker, interprétée par Jacqueline Bisset, est une star américaine psychologiquement assez fragile.
Le tournage suit son cours, bien qu’il semble parfois échapper au contrôle de Ferrand, troublé quelque peu par les problèmes personnels de chacun des membres de l’équipe.
Ainsi, l’histoire de La Nuit Américaine mêle la vie privée des acteurs durant un tournage à l’intrigue des personnages qu’ils incarnent, alors même qu’on parvient souvent à ces moments, comme le dit le metteur en scène, où « les problèmes personnels ne comptent plus » et où « le cinéma règne ».
Déprimes, pannes d’inspiration, problèmes techniques, disputes, rien, pas même la mort, n’arrête le tournage du film.
Mis à part le fait que La Nuit Américaine soit un somptueux hommage au septième art, il faut savoir que si le long-métrage de Truffaut s’est largement démarqué pendant les années 70 et qu’il est encore prestigieux à ce jour, c’est aussi parce qu’il fait figure de manifeste de la Nouvelle Vague.
Mais qu’est-ce que La Nouvelle Vague ? On ne pourrait évoquer le culte qu’est La Nuit Américaine sans définir le contexte de l’époque.
La Nouvelle Vague est un courant cinématographique français de la fin des années 50. Il rassemble des réalisateurs qui ont tourné leurs premiers films à la fin de cette période, avec des figures emblématiques telles que François Truffaut ou encore Jean-Luc Godard. Ce courant débute avec la découverte enthousiaste du cinéma américain au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi, les cinéastes la Nouvelle Vague se caractérisent par le rejet du cinéma français officiel. Cela se constate par des nouvelles façons de produire, de tourner, et de fabriquer des films qui s’opposent aux traditions de leur ère.
Et c’est pourquoi ce film représente à lui seul cette vague idéologique. Avec par exemple la fin du tournage en studio, où on aperçoit Ferrand faire des prises de vues en extérieur pour aborder le cinéma avec plus de vérisme.
Si quelques acteurs, tels que Jean-Pierre Léaud qui incarne Alphonse et Dani qui joue le rôle de Liliane symbolisent le tournage intimiste à la française, Truffaut désire introduire une dimension internationale à son œuvre. Nous pouvons le constater à travers le casting avec Jean-Pierre Aumont et son prestigieux passé hollywoodien ou bien Jacqueline Bisset, sublime comédienne britannique.
Le réalisateur ne se prive pas non plus de faire référence à des acteurs et réalisateurs étrangers. Nous apercevons plusieurs fois
Ferrand rêver d’un petit garçon s’approchant d’un cinéma pour y dérober les photos de Citizen Kane, désigné par l’American Film Institute comme le meilleur film de tous les temps.
On note également plusieurs apparitions de livres au sujet de réalisateurs célèbres de diverses nationalités tels qu’Alfred Hitchcock, Jean-Luc Godard ou encore Roberto Rossellini.
Par ailleurs, le film est dédié à Dorothy Gish et Lillian Gish, deux sœurs américaines icônes du cinéma muet très admirées par François Truffaut.
Concernant la bande-originale, nous retiendrons le nom du Georges Delerue grâce auquel nous sommes encore plus immergés dans cette fantastique aventure qu’est le tournage de film. Le compositeur nous offre une bande-son remarquable et épique qui marque les esprits.
Du côté des comédiens, nous ne sommes pas en reste avec des personnages plus marquants les uns que les autres, à commencer par Ferrand lui-même, le réalisateur et metteur en scène touche-à-tout assailli de questions pendant près de 2h, en passant par Alexandre, le séducteur quinquagénaire avec son air mystérieux incarné par Jean-Pierre Aumont. Mais aussi Jacqueline de Bisset et son charisme fou tout droit venu d’Angleterre. Sans oublier Alphonse, un enfant lunatique dans le corps d’un jeune homme qui se questionne inlassablement sur la nature des femmes avec une naïveté touchante.
Ainsi, ce film dans le film, cette mise en abîme du cinéma, nous permet de plonger avec joie dans l’univers d’un tournage sous ses divers aspects techniques et humains. On y découvre la face cachée du cinéma : l’excitation sur un plateau, la réussite d’une entreprise, la solidarité de l’équipe, l’enthousiasme des acteurs… Du perchman à l’accessoiriste, en passant par la scripte, le producteur, la maquilleuse, et le régisseur, tous les maillons indispensables à la création de cette inoubliable expérience qu’est le cinéma sont là.
La Nuit Américaine mêle en quelque sorte documentaire et fiction : c’est un film vrai et sincère sur un monde factice, celui du cinéma, où « on passe son temps à s’embrasser, car il faut montrer qu’on s’aime », comme le dit l’un des personnages.
Parce que finalement, La Nuit Américaine, c’est ça, un film d’amour, un film consacré à l’amour du cinéma. C’est une déclaration de foi dans le septième art, que Truffaut aimait le plus au monde et qui devait souvent passer pour lui avant la vie privée, je dirai même avant la vie tout court.