Peut-être l'oublie-t-on en 2011, mais les « cités » existaient dès les années 1980. La Seine-Saint-Denis de l'époque sert donc de cadre à cette chronique de l'adolescence violente. (On passera sur le caractère « pittoresque », avec le recul, de cette banlieue dont des habitants prénommés « Bruno » et « Jean-Roger » roulent en « mob » et utilisent des expressions comme « se fendre la gueule »...) L'un des problèmes de ce genre de films consiste à éviter de se transformer au mieux en documentaire, au pire en « reportage » sordide et sensationnaliste. Pour "De bruit et de fureur", Jean-Claude Brisseau s'est efforcé d'éviter cet obstacle – par exemple aux références à Shakespeare et à Faulkner. Ce n'est qu'à moitié réussi : le film verse souvent dans la démonstration sociologique, à coups de plans et de dialogues appuyés sur la cité en pleine décrépitude, sur l'autorité qui se perd, sur l'effacement des repères moraux, sur les relations familiales dégradées, sur les enseignants inexpérimentés envoyés en Z.E.P., sur les adolescents en échec scolaire par manque de confiance en eux, sur une jeunesse surexposée à la violence et au sexe – mention particulière pour la scène de Bruno et Jean-Roger regardant un film de zombies...
Du reste, sans doute pour éviter à son film d'être taxé de « réaliste », de « naturaliste » ou de « film social », le réalisateur a eu l'idée d'inclure dans son film des passages appuyés mettant en scène une étrange apparition féminine, qui pourrait être une allégorie aussi bien de la mère et de la liberté, que de la mort, ou du passage à l'âge adulte. On peut trouver à cette chose onirique un intérêt cinématographique et narratif, ne serait-ce que grâce aux ambiguïtés qu'elle permet – la cicatrice sur la joue de Bruno, l'épisode raconté dans la lettre finale. On résistera difficilement à la trouver extrêmement lourde. D'une manière générale, toute la symbolique, dans ce film – l'opposition faucon/ serin, les thématiques de l'envol et de la cage –, sont furieusement pesantes, et, de fait, nuisent à l'efficacité dramatique de l'ensemble.
Car, comme à toute chronique (« Récit mettant en scène des personnages réels ou fictifs, tout en évoquant des faits sociaux et historiques authentiques, et en respectant l'ordre de leur déroulement », me dit un dictionnaire), il manque à "De bruit et de fureur" un scénario. Peut-être objectera-t-on que la vie non plus n'a pas de scénario, mais un film n'est pas la vie ; or, c'est seulement à la moitié du film environ que naît ce qu'on peut appeler une intrigue. À partir du moment où le personnage tragi-comique du père de Jean-Roger – par ailleurs remarquablement incarné par Bruno Cremer, aussi bon que les deux autres acteurs principaux – fait part à son fils aîné de son manifeste d'immoralité, "De Bruit et de fureur" gagne enfin en dynamisme. Enfin un scénario, donc, ce qui permet par ailleurs une scène fort réussie, où l'on suit simultanément Bruno à la recherche de son oiseau et Jean-Roger à la recherche de la mort. Ce genre de scènes est, avec quelques plans intéressants – principalement les plans larges – et des lumières – la scène ou Bruno arrive dans son nouvel appartement, celle du feu – parfois admirables. Il est seulement dommage que tout cela soit trop tardif, et desservi par un manque de finesse quasi-total dans le propos comme dans la façon de filmer.