« C’est un drôle de mot « avant », c’est un mur qui m’entoure, contre lequel je me cogne tout le temps. C’était beau, avant ? »
Dany Carrel, loin des personnages de femmes attachantes en marge de la société (prostituée dans « Un idiot à Paris », Serge Korber, 1967, voleuse dans « La petite Vertu », du même Korber, 1968, modèle de charme dans « La prisonnière » de Henri-Georges Clouzot, 1968) interprète la rescapée d’un accident qui l’a défigurée et lui a pris sa mémoire. Son jeu est particulièrement ingénu, jusqu’à l’agacement parfois tant sa voix de petite fille et sa naïveté semblent exagérées malgré, par moments, l’émotion touchante qui s’en dégage. Sans spoiler, notons que sa prouesse réside dans le fait qu’elle incarne finalement les trois personnages principaux de l’histoire. Les autres interprètes, notamment Madeleine Robinson, sont justes, très bien dirigé·es par le réalisateur.
La réalisation de Cayatte, justement, est sobre, académique, voire froide, ce qui ralentit une narration déjà lente où s’entremêlent pensées personnelles, enquête, récits du passé, flash-backs et révélations. On pointera malgré tout les prouesses techniques pour l’époque des très rares effets spéciaux et l’importance capitale des jeux de miroirs. Cette lenteur permet par ailleurs de déplacer le curseur émotionnel assez haut dans certaines scènes, notamment, à l’heure de projection, l’engueulade entre Michèle et Jeanne, scène trouble et d’une modernité inouïe.
Adapté d’un roman de Sébastien Japrisot, prolifique fournisseur d’adaptations remarquées et lui-même réalisateur, le scénario, puzzle qu’on suit se construisant au fil du récit bi-linéaire, semble particulièrement binaire, la riche Mi dévergondée et la pauvre Do candide, en parallèle au franc Gabriel et au falot François. Cette vision n’est cependant que celle d’un des protagonistes et, comme au début du film, on s’aperçoit vite que les versions changent en fonction des différents témoins. On n’est alors pas très loin d’une œuvre pirandellienne comme « A chacun sa vérité ».
Au final, ce film quelque peu oublié de la filmographie de Cayatte nous propose, à la façon d’un puzzle, une réflexion passionnante sur la question de l’identité, de la subjectivité et de la responsabilité : qui je suis ? aux yeux de qui ? qu’est-ce que j’ai fait ? est-ce vraiment moi ? Il met aussi en avant toute la palette de talents d’une Dany Carrel hélas trop peu employée à sa juste valeur tout au long de sa courte carrière.