« Monsieur le Juge, regardez-moi est-ce que j’ai une tête de crapule ? »
En 2023, le pitch de ce film peut dénoter quelque peu, après tant de scandales pédophiles avérés et une légitime condamnation unanime d’actes abominables, commis parfois à l’époque où ce film a été tourné.
Quoi qu’il en soit, si le sujet est scandaleux, tenons-nous en au film. André Cayatte a déjà fait parler de lui en présentant des thèmes de société durs, filmés sans concession. Son style, résolument réaliste, se rapproche de celui de la Nouvelle Vague malgré les critiques féroces que Truffaut émet contre le réalisateur. Les dialogues sans emphase, en phrases courtes, l’élocution monocorde des interprétations, tout renforce l’aspect documentaire filmé. L’histoire est adaptée d’un roman de l’avocat Jean Cornec (Cayatte est lui-même avocat de formation), qui a eu à défendre une affaire similaire, co-écrit avec sa femme. On pourra être surpris de retrouver Armand Jammot au scénario et aux dialogues mais cela s’explique par le fait que l’homme de télé vient de créer, quelques mois plus tôt à peine, la célèbre émission « Les Dossiers de l’écran », où un film était débattu après visionnage. Celui-ci y sera d’ailleurs diffusé le 1er juin 1976.
Au centre de cette histoire, Jacques Brel interprète son premier grand rôle au cinéma, souhaitant s’éloigner de la scène qui l’épuise. Il signe également la musique, accompagné de son fidèle arrangeur François Rauber. Pour lui donner la réplique, on notera Emmanuelle Riva, Christine Fabrega, René Dary et des gamines dont le jeu certes un peu faux apporte une couche réaliste supplémentaire. On notera d’ailleurs la part prise par les femmes, des jeunes filles aux femmes adultes, dans une œuvre qui dénote à une époque où les castings sont ultra-majoritairement masculins.
La caméra de Cayatte se veut la plus discrète possible et parvient, prouesse, à disparaître alors même que le réalisateur use d’artifices, comme ces arrêts sur image lorsque l’instituteur prend des photos.
Revenons enfin au thème du film ou plutôt aux thèmes. En effet, si la mise en doute de la parole des enfants semble être au coeur de la narration (c’était le thème choisi lors de la diffusion du film aux Dossiers de l’Ecran), il en est deux autres sans doute plus importants encore et qui servent de fil rouge à la plupart des œuvres de Cayatte : la machine judiciaire et son cortège de drames et de déshumanisation ainsi que l’hypocrisie crapoteuse de la bourgeoisie. C’est sans doute ce qui rend cette œuvre intemporelle.