On veut veut bien croire que la lettre et l'esprit de Dostoievski aient été quelque peu endommagés par cette adaptation cinématographique. Sans que je connaisse le roman, il est flagrant que le personnage central qu'interprète Gérard Philipe manque de rigueur psychologique, que sa relation au jeu et avec les autres personnages est bien trop superficielle. Ces carences sont d'autant plus regrettables que l'histoire et ses protagonistes présentent un intérêt certain. Surprenante, cette histoire que l'on sait vouée à la tragédie se prête pourtant à la farce, notamment avec le personnage de Bernard Blier, général russe ruiné et amoureux qui attend avec impatience l'héritage d'une vieille tante. Il y a dans le film de longues scènes à la table de roulette, amusantes certes, mais dont on conviendra qu'elles constituent des effets faciles. Quoiqu'il en soit, le fim bénéficie du charme de ses intreprètes et de l'esquisse d'un sujet sans doute profond.
"Le joueur" d'Autant-Lara, scénarisé par Pierre Bost d'après Fedor Dostoievski est l'archétype du cinéma de "qualité française" vilipendé par la Nouvelle Vague alors tout juste naissante. Cette appellation souvent sévère s'avère trouve ici une expression plutôt juste notamment si l'on compare cette version plutôt fidèle au roman à celle qu'en avait proposé en 1949, Robert Siodmak avec "Passion fatale" qui s'était davantage émancipée du texte initial pour livrer une très émouvante histoire d'amour où la passion du jeu venait en troubler l'accomplissement par le truchement de personnage secondaires très riches interprétés par Walter Huston, Agnès Moorehead et Melvyn Douglas. Autant-Lara dispose lui pour les mêmes rôles de Bernard Blier, Françoise Rosay et Jean Danet ne sont pas des manchots mais la sauce ne prend pas. Sans doute par un manque d'alchimie entre Gérard Philipe et Liselotte Pulver mais aussi par un récit qui met un temps fou à sortir des relations tordues entre les membres de la famille de Pauline (Liselotte Pulver), empêchant tout ce beau monde d'entrer enfin au casino où la roue qui tourne va emballer les esprits et libérer les caractères. Une occasion ratée par un Autant-Lara pour une fois assez peu inspiré. La meilleure façon d'adapter les œuvres touffues de Dostoïevski est sans doute d'en conserver que le cœur battant. Karel Reisz en 1974 l'exprimera de la meilleure des façons avec "Le flambeur" version contemporaine mais au combien fascinante du roman.
En réalisant «Le joueur » Claude Autant Lara et les scénaristes Jean Aurenche, Pierre Bost et François Boyer, ne retiennent du roman éponyme de Dostoïevski que le côté ironique qu’ils amplifient jusqu’à la caricature en prenant délibérément le choix de la comédie. En alternant les scènes entre l’hôtel et la salle de jeu, le roman très « psychologie tourmentée » devient une espèce de théâtre de boulevard avec deux motivations : l’argent et le sexe. Cette trahison du livre débouche sur un ectoplasme braillard et gesticulant (surtout le Général), où à part Françoise Rosay et Jean Danet, tous surjouent, à la limite de la fausseté avec Gérard Philippe, Liselotte Pulver, Bernard Blier et Carette inhabituellement très mauvais. A l’exception de l’arrivée de la tante Antonia à Baden Baden, le reste du film n’apporte même pas un sourire et n’offre quasiment aucun intérêt (même les scènes de roulettes peinent à entretenir le suspens). Enfin quitte à sortir la grosse Berta, Autant Lara met en scène un numéro dansant avec culottes de cuir et bien Oktober Fest bavarois. A Baden-Baden, la ville la plus huppée d’Allemagne ?? C’est avec une finesse du même métal que le cinéaste passe complètement à côté de l’illustre roman pour infliger au spectateur ce non sens cinématographique.