Big George a de quoi être nostalgique, alors qu'il fait ses premières armes dans le Cinéma, il a vu, en à peine dix ans, le Vietnam, Nixon et les assassinats des Kennedy ou de Luther King gâcher sa belle et idyllique version de l'Amérique.
Il rend hommage à cette jeunesse avec American Graffiti, celle-là même qui sera sacrifiée à l'autre bout du monde. Le temps d'un film, il veut oublier ça, et ça tombe bien, nous aussi, il nous invite alors, au choix, dans la Chevrolet Impala d'un Ron Howard qui étoffe déjà son futur rôle de Richie Cunningham dans Happy Days, ou un superbe hot rod jaune, en étant, tout le long, accompagné par la géniale radio du Wolfman Jack.
Pourtant, cette vision rêvée d'une Amérique encore innocente est teintée d'une forte mélancolie, un soupçon de tristesse même, comme en témoigne le final. American Graffiti se déroule en (quasi) continu sur une soirée particulière et charnière pour l'avenir des protagonistes et, dans le même temps, Lucas porte un regard désabusé sur le passage à l'âge adulte, faisant de son film un deuil de l'adolescence et de l'inconscience. Ce sont des enfants dans des rôles d'adulte qu'il filme, et à travers eux, un monde désabusé et indécis, ils sont trop grands pour être insouciants mais trop jeunes pour ne plus avoir de rêve.
Astucieusement, il rythme son film en suivant les péripéties de quatre amis qui vont plus ou moins se croiser, passant d'une atmosphère légère et drôle par le biais de l'un à une plus triste ou désabusée d'un claquement de doigts, ou du moins d'un changement de chanson ou un passage de vitesse. Les touches d'humour ou légères ne manquent pas, à l'image du début de la péripétie de John Milner au volant de sa hot rod jaune avec sa jeune accompagnatrice, et le mano à mano qui se met doucement en place avec un Harrison Ford sûr de lui, ainsi que les efforts de Charles Martin Smith pour, enfin, conclure.
Lucas, qui s'inspire de sa propre jeunesse, soigne l'écriture, les dialogues fonctionnent, sont souvent pertinents et permettent d'apporter une profondeur aux protagonistes, surtout lors des moments où la lucidité (re)fait surface. Il prend aussi soin de la reconstitution, tout est millimétré et les détails, plus ou moins visibles, sont superbes, sans être forcés comme on le voit trop souvent de nos jours. Les comédiens sont très bons, Richard Dreyfuss et Paul Le Mat sortant particulièrement leur épingle du jeu, sachant, eux aussi, apporter une profondeur à leur personnage.
Dès le début des années 1970 l'Amérique était mélancolique, fruit d'une décennie 1960 pleine de désillusion, et George Lucas met parfaitement cela en scène avec American Graffiti, ou lorsque l'insouciance d'une course de voiture laisse place aux choix qui marqueront toute une vie, dans un cadre nocturne rêvé, accompagné d'une bande originale aux petits oignons.