George Lucas n’a pas toujours été l’homme d’une seule idée, ni même cette espèce de notaire du cinéma, trop occupé à gérer un héritage imposant pour avoir le temps de faire autre chose. Pendant quelques brèves années, il fut un jeune loup du Nouvel Hollywood, partagé entre ses aspirations d’auteur et la conscience que si un film n’était pas vu par le plus grand nombre, il ne servait pas à grand chose de le tourner. Peut-être justement, ‘American graffiti’ constitua-il le préambule de ce virage vers un cinéma rassembleur, après un glacial ‘THX-1138’ devenu Classique SF avec les années auprès des esthètes mais dont personne n’avait eu grand chose à foutre à l’époque. ‘American graffiti’ fêtera bientôt son demi-siècle, film générationnel de baby-boomer tardif, et aujourd’hui, il est difficile de se rendre compte précisément de ce qu’était le regard d’un adulte des années 70 sur le jeune homme qu’il était à l’aube des années 60, juste avant que tout ne parte en vrille. L’univers se résumait-il à ce point à quatre roues et un moteur, comme dans ‘Cars’ ? Aux néons, aux Dinners, aux milkshakes et aux filles aux coiffures bouffantes qu’on essayait d’impressionner par une course de vitesse clandestine, une séance au drive-in, un arrêt impromptu au bord du lac ou plus prosaïquement avec de la gomina ? Est-ce que Lucas souhaitait célébrer cette adolescence insouciante...ou au contraire, comme le laisse supposer l’épilogue, graver dans le marbre cet ultime instant de félicité symbolique pour sa génération ? Le film se présente certes comme une comédie, qui relate les mésaventures occasionnellement burlesques qui arrivent à quatre potes durant une nuit californienne de 1963...mais c’est autre chose qui s’en dégage, perdu entre la légèreté et la vacuité des loisirs et ce refus d’envisager l’avenir avant que le compte des heures nocturnes ne soit parvenu à son terme, comme si chacun ne souhaitait grandir qu’à regret...mais aussi une mélancolie diffuse, comme si quelque chose avait définitivement disparu ce soir là. En cela, même si, à moins de faire justement partie de cette génération d’après-guerre, il n’est aujourd’hui plus possible de saisir instinctivement le regard de George Lucas sur le zeitgeist de sa jeunesse - rien à voir avec ce qui passe encore implicitement à la vision de ‘Breakfast club’ par exemple, pourtant distant seulement d’une grosse dizaine d’années, - ‘American graffiti’ est sans doute l’ancêtre probable des films de Richard Linklater, ‘Dazed and confused’ en tête.