Après avoir brillé aux côtés de Marlon Brando dans Le Parrain et avant de reprendre le rôle de Michael Corleone pour se retrouver avec un nouveau personnage mafieux et culte à jouer (Tony Montana dans Scarface), Al Pacino jouait les policiers intègres dans un long-métrage de Sidney Lumet (Douze hommes en colère et alors futur réalisateur du Crime de l’Orient-Express). Une sorte de film policier aux airs de biopics (basé sur la vie de Frank Serpico) qui à l’époque de sa sortie (soit l’année 1973 aux États-Unis) offrait une image peu reluisante de la police aux yeux du grand public, loin des fictions de divertissement. Retour donc sur Serpico, un long-métrage qui a participé à l’élévation d’un comédien hors pairs jusqu’au firmament de la célébrité.
Aujourd’hui, un film tel que Serpico peut paraître dérisoire tant l’histoire du flic tentant de mettre à mal la corruption qui sévit dans la police, nous la connaissons tous, celle-ci nous étant resservie à chaque fois sous différente sauce. Et ce même si la trame en question s’inspire de faits réels. Mais pour l’époque, Serpico eut un impact non négligeable qui peut encore faire effet de nos jours si l’on ne regarde pas ce long-métrage passivement. Car si ce dernier dénonce la corruption policière, il le fait de manière efficace, cinglante et sans détours inutiles. Il suffit de voir le scénario qui préfère s’attarder sur le parcours du personnage au sein des hommes de loi plutôt que de se plonger dans sa vie personnelle, tel est le sujet de base annoncé par le projet. D’accord, il y a bien quelques séquences qui nous dévoilent un peu son intimité, mais elles permettent de donner une humanité à cette figure christique (le fait qu’il arbore au fur et mesure du film une barbe et de longs cheveux n’y est pas pour rien dans cette intrigue de messie tentant de sauver l’intégrité au sein de police new-yorkaise) tout en gardant un lien avec son combat contre la corruption (le fait qu’il ne veuille pas sortir avec une femme issue d’une famille de flics, son obsession qui nuit à sa relation amoureuse…). Le script de Serpico fait tout pour que l’on s’attache à son protagoniste et que l’on s’immisce sans mal dans cette ambiance tendue.
Il faut dire aussi que Sidney Lumet arbore une mise en scène qui aide grandement à ce constat. En effet, Serpico n’a rien d’un film hollywoodien qui fournit son lot de grandes séquences aux innombrables envolées symphoniques. Ici, c’est plutôt une approche documentaire qui est effectuée, la caméra restant sans cesse aux côtés du personnage principal, ne le quittant jamais de l’objectif. Le suivant dans ses nombreuses péripéties avec un certain réalisme, sans passer par des artifices pour le coup inutiles (effets spéciaux à gogo) ni des musiques qui auraient gâché la tension et la crédibilité de l’entreprise. D’ailleurs, ces dernières se font seulement entendre lors des moments dits « joyeux » du film, permettant ainsi au spectateur de se reposer un peu de toute cette nervosité morale, de reprendre son souffle avant de revenir à la charge. Un tel parti pris peu paraître frustrant par moment, pouvant rendre certains moments du long-métrage un brin longuets, mais cela vaut le coup d’œil, l’ensemble se montrant amplement intéressant à suivre sans jamais tomber dans le pédagogique à outrance comme pour la plupart des biopics (surtout actuels).
Mais la véritable valeur sûre de Serpico se trouve en la personne d’Al Pacino, prétexte principal au visionnage du film. Et pour cause, le comédien sait se montrer déluré quand il faut (notamment en ce qui concerne l’accoutrement de son personnage, peu apprécié par ses pairs), décontracté au bon moment notamment lorsqu’il faut draguer. Mais surtout, il arrive à offrir à son rôle une intensité à tout ce que nous offre l’acteur dans son interprétation, aussi bien une crise de nerfs soudaine qu’un moment pour le moins dramatique, rappelant sans cesse sa situation à risques et le danger qui peut avoir raison de lui à tout instant. Bien que son personnage soit le centre du film et que celui-ci ne laisse pas la place aux autres protagonistes secondaires, le fait d’avoir Al Pacino en tête d’affiche y est également pour quelque chose, son aura effaçant sans mal celui de ses partenaires de jeu tout autant investis que lui. Il porte le film sur ses épaules, et ne faiblissant jamais dans la peau de ce policier intègre, permet ainsi à Serpico d’avoir fière allure du début jusqu’à la fin.
Film policier d’exception ne perdant jamais son temps à vouloir en mettre plein la vue, préférant garder toute notion de réalisme et de tension, Serpico est sans nul doute l’un des titres les mieux maîtrisés du genre. Et puis, si vous n’êtes toujours pas convaincus par une « énième » histoire de corruption policière, regardez au moins ce film pour la prestation sans faille d’Al Pacino : il mérite amplement sa notoriété qu’il possède encore aujourd’hui malgré les seconds rôles oubliables de ses derniers films.