Quoi les puristes de Molière devraient être contents ! Le texte est respecté à la virgule près. Jean Girault et Louis de Funès, co-réalisateurs, se sont appliqués à ne pas trahir l’oeuvre. Alors qu’est-ce qui ne va pas ? Jamais contents, les gens ! Pourquoi l’accueil de « L’Avare » a été si mitigé ? La faute aux acteurs ? Est-ce objectif ? Même sur scène, il y en aura toujours pour critiquer à mal tel ou tel acteur. Louis de Funès ? Un acteur trop populaire, issu du cinéma, art mineur pour les élites du théâtre classique ? Comme je l’ai déjà écrit, traduire du théâtre sur pellicule n’est jamais évident. il faut éviter le piège du théâtre filmé. Ce que maîtrise selon moi Roman Polanski avec « Carnage » et « La Vénus à la fourrure » par exemple. Mais comme je l’ai déjà aussi écrit, Polanski est aussi un metteur en scène de théâtre et il connaît les contraintes du cadre théâtral. La force des dialogues peut faire oublier une mise en scène redondante ou minimaliste quoique minimaliste ne signifie pas nécessairement redondant. A cela s’ajoute l’interprétation des personnages. Celle-ci est conditionnée par un bon directeur d’acteurs. Il est toujours périlleux aussi de filmer dans un même lieu : ce qu’on appelle le huis-clos. Ce qui peut passer pour des oeuvres modernes passent peut-être moins pour les grands classiques comme « L’Avare ». Je comprends que l’on soit déçu du film. En ce qui me concerne, je suis aussi mitigé. Je l'ai été à sa sortie. Cependant, avec le temps et en le revoyant récemment, je préfère prendre le parti de la bienveillance. Jean Girault et Louis de Funès se sont appliqués à aérer la pièce, entendez à déporter les personnages hors des murs. Ils ne se sont pas contentés de la maison, laquelle est déjà extensible par rapport à la scène d’un théâtre, qui par définition ne cadre qu’un lieu. Si Jean Girault et Louis de Funès sortent les personnages hors des murs, ce n’est pas pour trahir le texte de Molière ; hors des murs, c’est justement une aération, comme une récréation, une respiration, c’est un théâtre en mouvement, comme Harpagon à l’église, puis poursuivi par une paroissienne qui demande l’aumône, à aucun moment le texte de Molière est déclamé. Le texte de Molière est enfermé dans les murs de la maisonnée d’Harpagon comme au théâtre. Hors des murs, c’est aussi illustrer une tirade en traduisant les pensées soit d’Harpagon, soit de Frosine. Le texte est joué dans l’officine du courtier, et le texte est joué en partie à l’extérieur quand Harpagon revient avec le commissaire et son secrétaire suite au vol de sa cassette. Là le texte est hors des murs mais il s’inscrit parfaitement dans l’action. C’est pourquoi, je dis que les réalisateurs ont opté pour une mise en scène aérée, en mouvement. A cela s’ajoute quelques touches décalées ou une mise en abîme de la pièce : décalée avec la fresque signée Uderzo qui représente deux chevaux amaigris, fresque sous laquelle est déposé du foin pour lesdits chevaux dessinés. Mise en abîme : le décor en début de film et vers la fin représente des pages du texte de Molière. Alors pourquoi ça ne fonctionne pas tout à plein ? Pourquoi être sévère ? Indéniablement, les réalisateurs ont voulu apporter une touche moderne tout en respectant au mot le texte de Molière. Moderne aurait pu vouloir signifier adapter aussi le texte. Lui donner un ton contemporain. Cela aurait pu fonctionner. Le défaut, mais est-ce vraiment un défaut, est-ce d’avoir respecter le texte ? Je ne pense pas. Là où le bât blesse selon moi, c’est le parler. C’est une hypothèse que j’avance : la manière de déclamer le texte. Il y a comme un décalage. Ce « parler » appartient au théâtre. Et pour le coup, ce parler est antinomique au cinéma. Sauf si la mise en scène l’impose pour des séquences ponctuelles. Mais sur la durée, ça peut user comme je l’ai lu. D’où cette sensation aussi de croire que les acteurs jouent mal. Le parler de Molière passe au théâtre mais pas au cinéma. Le risque c’est de basculer dans du théâtre filmé et ne plus ressentir le cinéma. Le risque c’est un produit hybride qui ne déclenche aucune émotion. Je pense que les réalisateurs en respectant le texte ont voulu le voir jouer comme on pouvait le voir jouer au théâtre. Un point de vue presque radical mais malvenu. Il semblerait que le parler était associé au texte, ainsi ils revendiquaient respecter l’illustre auteur... ou le théâtre ! Respecter le texte est légitime et gage de qualité, nul besoin d’un dialoguiste, mais dépoussiérer le parler aurait été judicieux. Les réalisateurs voulaient-ils rassurer les défenseurs de Molière ? La Comédie Française ? Pour conclure, je tiens à saluer l’interprétation de Louis de Funès, même si elle n’a rien d’exceptionnelle, le rôle d’Harpagon lui va à ravir. C’est un rôle qu’il devait tenir. Harpagon est comme une conclusion des personnages interprétés par Louis de Funès, ou plutôt certains aspects de ses personnages. Une conclusion à sa carrière. Une mention affectueuse pour Claude Gensac, pétillante Frosine. Oui, tout n’est pas à jeter dans ce film, excepté les avaricieux de la bienveillance.