« Le Gai Savoir » (France, 1969) de Jean-Luc Godard est une œuvre didactique, clairement nourrie de la pensée marxiste-léniniste du « Petit livre rouge » de Mao. Jean-Pierre Léaud et Juliet Berto se donnent rendez-vous la nuit, dans le néant obscur d’un studio de télévision. Ensemble, en trois années, ils apprennent à déconstruire les images et les sons (le cinéma) pour mieux les reconstruire, émancipés, sous une forme moins bourgeoise, moins capitaliste, plus encline à satisfaire les rêves de masse propre à la classe prolétaire. Animé par le grand geste de cinéaste de Godard, leurs discussions dialoguent avec le film, avec d’autres images. Le montage met en relation les comics Marvel avec les effets du napalm au Vietnam, relativisant l’un au contact de l’autre. À partir du « Gai Savoir », après le magistral « La Chinoise », Godard élabore une poétique nouvelle, radicale, qui ratisse à zéro pour faire la critique de la représentation dominante en cinéma. A l’époque, en pleine effervescence contestataire, sur les braises encore chaudes de mai 68, « Le Gai Savoir » correspond à un contexte évident. Qu’en est-il aujourd’hui, en 2011 ? Il y a déjà « Film Socialisme » dans « Le Gai Savoir ». Si Godard s’est donc senti motivé pour reposer la question du socialisme en 2010, c’est que les problèmes soulevés par « Le Gai Savoir » persistent aujourd’hui encore. Les ouvriers sont toujours autant conservés dans l’ignorance par la classe bourgeoise. Un plan donne la mesure de cet assujettissement : Juliet Berto, cadrée aux épaules, de dos, chante « A » tandis que Jean-Pierre Léaud, en face d’elle, cachée derrière son visage, lui rétorque en maître : « O ! ». Après quelques étranglements et indexes sentencieux levés, Berto finit par chanter « O ». C’est comme ça que ça se passe chez les bourgeois. Le film n’est pourtant pas sans soulever quelques suspicions. Les grands raccourcis faits par Godard, notamment lorsqu’il reproche à l’enseignement sous De Gaulle et Pompidou de se plier aux normes bourgeoises, laisse à supposer l’aveuglement dogmatique du cinéaste. Car enfin si le S est associé dans les manuels scolaires à « sage » et « savon » plutôt qu’à « sexe » et « syndicat », ce n’est pas pour des raisons idéologiques – comme il le suppose - mais par soucis de maturité et de conscience intellectuelle. « Le Gai Savoir », dans sa ferveur maoïste alterne entre génie créatif pédagogique et égarement doctrinal.