Deux manières de parler de ce film. Tout d'abord louer sa distribution, allant de l'excellent au génial. Un grand Noiret passant de l'amidonné au fragile, un fantastique Brialy, image d'une aristocratie voyant mourir sa France et ne pouvant lui survivre, avec quelque chose du Charlus de Proust. Et un sublime Galabru, éructant ou murmurant, tour à tour tribun, conteur, bateleur, danseur, contemplatif, tout cela avec la même justesse. Ayant accepté de "faire des navets pour avoir de l'oseille", il n'a que quelques rares grands rôles à son actif. Mais celui-là pourrait suffire.
J'ai connu Tavernier plus inspiré, certes dans ses films postérieurs.
Mais il y a une seconde manière de juger cette oeuvre de toute façon cinématographiquement surestimée. Le propos est clair, rousseauiste pour ne pas dire angéliquement socialiste. Passons sur l'odieuse (et stupide) comparaison offerte par le message de fin. 12 gosses massacrés rapprochés de 2500 morts du travail inhumain. C'est bien, 2500, c'est précis. Pas 2458 ou 2543, ça sent son chiffre officiel historiquement inattaquable, ça nous rappelle des choses...Et c'est justement là que Tavernier s'égare, et qu'Aurenche me déçoit. Beaucoup de mes amis critiques ont souligné la reconstitution historique. Encore faudrait-il que celle-ci ne soit pas d'une partialité frisant l'indécence. Le clergé et l'armée présentent des pantins dignes des "guignols de l'info", les propos sur l'affaire Dreyfus sont un chef-d'oeuvre d'historiquement correct, et la révolte qui gronde est un bel hommage au cinéma soviétique adoubé par Staline, gorges généreuses dardées, foule chantante et drapeau rouge en bannière. Non, ce monde-là ne peut être celui de Villedieu, où un arriviste bourgeois peine à gérer ses états d'âme de juge pris dans ses contradictions et où l'on sanctifie un assassin qui ne peut être que victime au choix d'un chien, des prêtres forcément déjà pédophiles, de l'armée évidemment stupide et plus généralement de la société par essence responsable. Villedieu avait d'autres idéaux, d'autres valeurs. Reconnaissons aux auteurs de lui avoir soigné son rôle, son geste final permettant peut-être aux plus enragés de s'interroger sur des lendemains qui seront tout sauf chantants, quelle que soit la classe sociale des descendants de ces antagonismes. Quand Tavernier fait du Boisset, il filme mieux mais est tout aussi lourd, voire nuisible.