Le Juge et l'Assassin réussit à capter la malédiction d’une terre rurale abusée dont les enfants et les jeunes gens, tour à tour violés et éventrés, apparaissent tels les témoins d’une crise politique intense. Car Tavernier a l’intelligence d’opposer le périple du bourreau désaxé qui pense, en se perdant, marcher dans les pas du Seigneur, aux entreprises de rationalisation dogmatique dont les ambitions anticléricales et antisémites divulguent mal une bourgeoisie fétide, peut-être aussi répugnante que les actes-mêmes du bourreau. En faisant de son enquêteur un amant intéressé puis un violeur, le cinéaste pose entre le juge et l’assassin un miroir dans lequel leurs deux visages viennent se réfléchir l’un l’autre. La progression du long-métrage tend ainsi à renverser les perspectives : des horreurs perpétrées par Bouvier, nous assistons dans un second temps aux stratégies d’un minable tout droit sorti d’un roman de Flaubert ou de Maupassant, d’un petit qui aimerait se faire plus gros, plus grand, plus fort, au point d’orienter à son profit le jugement d’un homme. Dès lors, Le Juge et l’Assassin s’avère aussi truculent que glaçant, mêle fort bien le grotesque d’un monde social gangrené par les codes et l’hypocrisie galopante, avec l’effroi qu’engendrent les crimes réalisés. Deux acteurs magistraux, dont un Michel Galabru qui suscite autant la terreur que la pitié : son interprétation ressemble à celle d’un personnage tragique, certain de mourir sur scène, condamné par la Fortune. C’est à la lumière de cette focalisation audacieuse que se justifie alors le principal reproche à adresser à l’œuvre, celui de tomber dans une rage idéologique aussi bouffonne que la bêtise bourgeoise condamnée ici. En prenant à la gorge son spectateur, en le matraquant de coups gauches, Tavernier perd en cinéma ce qu’il pense gagner en puissance politique. Or, un film ne doit pas être un exercice de démonstration, encore moins lorsqu’il s’agit de mettre en scène l’Histoire. Le cinéaste est grand, certes, mais l’historien est biaisé. On dira que la couleur qu’arbore le long-métrage atteste son époque de réalisation et révèle ses préoccupations. On objectera qu’il n’y a plus juste combat que le combat capable de toucher l’atemporalité, et que les décharges idéologiques font souvent l’Histoire, rarement le cinéma.