Sorti du film, j’ai une impression très partagée de cette production. L’ambiance d’une salle de presse et le boulot de journaliste d’investigation sont super bien rendus. Mais malgré les 2h10 de film, on regrette qu’il n’ait pas duré 10’ de plus afin que les rebondissements de l’enquête autour d’une constellation de personnages en nombre ne nous perdent en route. Peut-être le désir de Pakula de travailler plus la forme que le fond, on est en 1976, et les détails de l’affaire ont tenus en haleine le pays depuis déjà plus de 2 ans. Un désir de ne pas être redondant qui rend le film quelquefois confus.
Et pour illustrer ce beau film mettant à l’honneur le journalisme, sur le blog « leschroniquesdecliffhanger » :
« Très immersif, faisant la part belle au réalisme, et mené par un duo d’acteurs au diapason, Les Hommes du Président est un véritable témoignage sur la mise en lumière de l’un des plus grands scandales politiques de l’histoire des Etats-Unis. Une réussite.
Lorsque l’on analyse le cinéma américain des années 70, ce qu’il reflète du désenchantement d’une société qui s’interroge sur la persistance du rêve américain, sur ses injustices et la corruption de ses élites, trois évènements majeurs sont cités comme des traumatismes ayant profondément changé l’Amérique et donc nourri la noirceur de son cinéma: l’assassinat de John Figtzerald Kennedy, la guerre du Vietnam et le scandale du Watergate. Le 8 août 1974, quand Richard Nixon se présenta à la télévision pour annoncer sa démission, plus pour devancer l’humiliation que lui aurait fait subir sa destitution inévitable aux termes de la procédure d’impeachment, que pour expier sincèrement ses fautes, le travail de l’ombre et la ténacité de Carl Bernstein et Bob Woodward, ont eu raison de l’homme le plus puissant du monde et de la corruption de son administration. L’adaptation de leur livre, All The Président’s Men, sorti quelques semaines à peine avant cette retentissante démission et retraçant les mois d’enquêtes ayant permis de remonter la piste des cambrioleurs du Watergate jusqu’aux plus proches collaborateurs de Nixon, est devenu, par la grâce d’un parfait alignement de planètes/talents (Robert Redford à la production, William Goldman au scénario, Gordon Willis à la photographie et Alan J. Pakula à la réalisation), l’un des sommets de l’histoire du cinéma américain.
Si l’intégrité de Robert Redford qui a tenu à ce que le film reste le plus fidèle possible au livre et le fantastique travail d’adaptation de William Goldman sont les fondations sur lesquelles repose en grande partie la réussite du film, il ne faut enlever aucun mérite à son metteur en scène, Alan J. Pakula lequel a eu pour son sujet la même patience et la même foi que ces deux journalistes qui ont renversé l’administration Nixon. Dans un refus salutaire de sur-dramatisation et évitant de tomber dans l’écueil pédagogique guettant les films dossiers, il cale le rythme de son récit sur celui de l’enquête de Carl Bernstein (Dustin Hoffman) et Bob Woodward (Robert Redford), ne s’appuie pas sur la béquille préférée de beaucoup de réalisateurs utilisant la musique comme des panneaux signalétiques à l’attention des spectateurs les plus paresseux. Comme eux, il tisse patiemment la toile qui va progressivement se refermer sur ceux qui sont derrière le scandale du Watergate qui finira par contraindre Richard Nixon à démissionner. Les dialogues, les acteurs et le rythme toujours le rythme, voici les seuls ingrédients utilisés par Alan J. Pakula. Avec eux et le tour de main d’un très grand chef, il parvient à donner à All The President’s Men la puissance dramaturgique d’un opéra sans ne jamais céder à la tentation du spectaculaire qui aurait été antinomique.
S’il est besoin de démontrer que l’on peut traiter son sujet avec le plus grand des sérieux, sans se laisser prendre en otage par sa portée politique ou vouloir l’imposer au spectateur, All the president’s Men peut être cité en exemple, tant il parvient à être édifiant sans jamais être pontifiant. Ces deux journalistes sont des vrais personnages de cinéma, avec une épaisseur, un tempérament qui dépasse leur fonction. All The President’s Men est le récit d’un scandale politique mis à jour par leWashington Post, un manifeste pour la liberté de la presse et un brûlot contre l’administration Nixon, mais c’est aussi et avant tout un très grand film qui existe aussi en lui même comme un formidable thriller.
Pour adapter le livre de Bob Woodward et Carl Bernstein, Robert Redford a fait appel à un grand maître du thriller, le romancier et scénariste William Goldman (Marathon Man, Butch Cassidy et le Kid) qui a abordé cette histoire comme un thriller dans lequel Carl et Bob mènent leur enquête comme les plus tenaces des détectives, leurs articles mettant à terre leurs cibles aussi efficacement qu’une rafale de mitraillette. Carl et Bob remontent la piste des responsables du Watergate, comme ils remonteraient la piste du responsable d’une organisation criminelle après que plusieurs de ses hommes de mains aient été arrêtés. Aussi détaillé soit le récit, respectueux de sa matière première, sa grande réussite est de ne jamais donner l’impression de se perdre dans une enquête qui a pourtant duré des mois et dont les ramifications sont nombreuses. Au moment où sort le film, deux ans à peine après la démission de Nixon, faisant suite à des mois d’un feuilleton en partie télévisé avec la diffusion des auditions de la commission d’enquête du congrès, le public américain avait envie de passer à autre chose. Robert Redford l’a parfaitement compris et intégré, pour surmonter les réticences de la Warner en veillant à ce que All The President’s Men ne soit pas qu’un film dossier ou procédural. Alan J.Pakula s’affranchit du style documentaire qui aurait été à priori indiqué pour ce type de récit. Il tire en permanence le meilleur de cette matière s’agissant notamment des rendez-vous de Bob avec son informateur, l’énigmatique Deep Throat. Ces rencontres nocturnes dans un parking souterrain font avancer l’enquête autant qu’elles ancrent le film dans le thriller et permettent d’en rendre palpables les enjeux et les conséquences. Le personnage de Deep Throat, de cet homme en imperméable, apparaissant dans la pénombre, allumant une cigarette avant de disparaître a même survécu au film, pour représenter l’archétype de l’informateur (notamment dans X Files).
De même les longues scènes de bureau, à priori anti spectaculaires au possible, bien que filmées dans leur vérité, dans leur longueur, sans effet de montage ou de mise en scène, ni béquille musicale, sont captivantes. Alan J.Pakula en capte l’énergie notamment par l’utilisation de plans séquences dans lesquels le spectateur se trouve happé, suspendu aux coups de fils de Bob et Carl, à leurs discussions avec leurs supérieurs. Alan J.Pakula ne cherche pas à créer une tension artificielle dans ces scènes de bureau, très longues et dialoguées. C’est en s’attachant à ses personnages, à leurs échanges, en se branchant sur la même fréquence qu’eux sans se dire qu’il est nécessaire de souligner ou de dramatiser, qu’il parvient à rendre ces scènes passionnantes. Si le chef d’orchestre est brillant, il faut aussi saluer ses musiciens, dont les deux principaux: Robert Redfordet Dustin Hoffman, lesquels pour préparer leur rôle et rendre leurs échanges plus dynamiques et naturels, ont chacun appris la partition de l’autre. Le tempérament très différent de leur personnage (Bob le républicain modéré et cérébral, Carlle démocrate un peu chien fou qui ne recule devant rien pour obtenir des informations) se complète à merveille, formant un vrai beau duo de personnages de cinéma, permettant même au film d’explorer des tonalités plus claires et de nous faire rire. Dans un orchestre symphonique, même si certains sont plus mis en avant, c’est la parfaite partition jouée par chaque instrument qui concourt à la réussite de l’ensemble. En l’occurrence, des responsables du journal (Jack Warden et Jason Robards), aux témoins et responsables auprès desquels Carl et Bob essayent d’obtenir des informations précieuses ou de faire intelligemment pression, chaque personnage est porté par des acteurs en état de grâce. Il faut faire une mention spéciale à deux d’entre eux: Robert Walden, on fire et versatile, dans le rôle de Donald Segrett, spécialiste des coups tordus qu’on dirait sorti d’un comic book et la toujours très juste et trop rare Jane Alexander, dans le rôle de la comptable dépassée par l’ampleur de la magouille de ses responsables.
Qu’on veuille le regarder comme un grand film politique ou comme un thriller, All The President’s Men est un véritable condensé de tout ce qui fait la grandeur du cinéma américain lorsqu’il s’élève à ce niveau d’exigence et réunit autant de compétences de l’écriture du scénario à la mise en scène et l’interprétation. »
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