Luis Buñuel et Gérard Philipe envisageaient depuis longtemps de travailler ensemble. Bien leur en a pris de le faire à l'occasion de cette commande d'Oscar Dancigers, le producteur qui remit le pied à l'étrier à Buñuel après son séjour décevant à Hollywood. En effet quelques mois après la fin du tournage, non sans avoir eu le temps de rendre visite au tout nouveau premier ministre cubain Fidel Castro, Philipe meurt d'un cancer foudroyant le 25 novembre 1959. Les deux hommes partageaient des convictions communistes et ce film adapté du roman éponyme d'Henry Castillou, paru en 1955 est une critique acerbe des régimes autocratiques qui fleurissent à l'époque en Amérique Latine où de soi-disant libérateurs se transforment rapidement en dictateurs soupçonneux et autoritaires. C'est le cas d'une république fictive qui utilise l'île d'Ojeda à 2000 kilomètres de ses côtes comme pénitencier où se côtoient pêle-mêle, criminels de droit civil et opposants politiques. Ramon Vasquez (Gérard Philipe), jeune technocrate est le secrétaire particulier du gouverneur qui vient d'être assassiné dans la capitale de l'île, El Pao. Il assure l'intérim alors qu'un haut commissaire, Alejandro Gual (Jean Servais) vient d'être nommé pour trouver et châtier le coupable mais aussi veiller au respect des méthodes autoritaires du gouverneur défunt. Gérard Philipe à qui la critique a reproché un jeu trop mièvre voire peu concerné, en décalage avec les enjeux dramatiques du film, incarne ce jeune homme parfaitement conscient que sa position ambigüe l'amène à trahir les idéaux libéraux qui lui ont été inculqués par son ancien professeur, opposant au régime et incarcéré sur l'île qui lui fera lors d'une scène admirable le reproche de cette duplicité. Sa position ne va pas s'arranger quand il va devenir l'amant d'Inès Roja (Maria Félix), la veuve du gouverneur, elle-même convoitée par Alejandro Gual. Se mêle alors au conflit éthique de Vasquez, la rivalité qui l'oppose à Gual. Le scénario très subtilement écrit par le duo Buñuel/Alcoriza épaulé par Charles Dorat, acteur et scénariste pour Julien Duvivier, montre parfaitement le positionnement infernal de celui qui au sein d'un tel type de régime, ne prend par clairement parti. Même si, comme pour faire diversion, les complots qui se font jour sont centrés sur l'intrigue amoureuse, Buñuel dénonce clairement la main de fer parfois gantée de velours avec laquelle le régime annihile toute tentative d'opposition. Le tempérament velléitaire de Vasquez, la ductilité de ses convictions, typiques d'une quatrième République française vont malgré tout lui faire gravir, parfois contre son gré, les échelons jusqu'au point de non retour. Buñuel qui en dépit une grande lucidité sur le tempérament humain reste un éternel optimiste, offre magnanimement le rachat final à Vasquez. Complètement en phase avec l'indécision qui ronge son personnage, Gérard Philipe livre donc une prestation tout à fait remarquable propre à traduire la fragilité de l'antihéros qu'est Vasquez et l'on comprend mal à postériori les critiques qui lui sont tombées dessus à l'époque. Buñuel n'aimait pas le film, confortant la mauvaise réputation injuste que traîne derrière lui "La fièvre monte à El Pao". L'accueil très controversé du film sur le continent sud-américain valide la charge de Buñuel. La beauté enfiévrée et terriblement sensuelle de Maria Félix , ajoutée à la suave perversité que Jean Servais insuffle à son personnage d'inspecteur retors et romantique, contribuent avec le magnifique noir et blanc de Gabriel Figueroa à redonner quelques degrés à cette fièvre que l'on avait un peu vite jugée trop basse