Le premier film de Claire Denis n'est pour moi que mon second. Quelques mois après le très beau et néanmoins éprouvant Trouble Every Day, cette fois, je m'y recolle entre appréhension et exigence. Avec un gout prononcé pour une aventure à part entière.
Très sincèrement, j'ai dans un premier temps un peu soufflé ... Il faut dire que le rythme de ce long métrage se cale sur une parole qui ne sort pas tout de suite, qui prend la chose à sa mesure, utilise le laps nécessaire pour sortir enfin son mal, qui en fin de compte est un atout incroyable ! Certains films nous conforte, réconforte, d'autres nous confronte, nous pousse dans nos retranchements, et clairement, Chocolat est de ceux-là. Plutôt deux fois qu'une. Pour le dire de suite, il s'agit là d'un grand film difficile, sur un racisme qui se devine, avant d'être complètement exhibé !
Avant cela, le début du film, comme pour ma précédente incursion dans le cinéma de Claire Denis à de suite démontré un réel attrait dans sa mise en relief, de son image, dans le mouvement, de sa photographie à la fois superbe et qui cherche à initié, à raconté, par ce biais, là ou les mots manque ou sont de trop. J'ai tiqué sur le tempo, mais là-dessus, j'ai remarqué son évidente splendeur. De cette mer, de ses trois corps sur le sable, des vagues que l'on perçoit, au silence qui se brise lors des présentations, on touche de ce fait à une beauté irrationnelle. Le flashback qui s'installe dans sa continuité, dans l'évidence aussi, continue dans l'exercice.
De point de vue il en est question, celui de France, dans son plus jeune âge, à une autre époque, dans un autre contexte. Des rapports prédéfinis, de condition, on arpente la colonie sous ce prisme. Fugacement, puis plus équivoque ensuite. L'ordre de la jeune fille, donné à son accompagnateur, repris par la chorale d'enfant ou encore celui de la mère de cette dernière qui ordonne elle aussi à son " Boy " de tenir la garde face à la hyène qui hurle aux abords de la chambre dans une parole autoritariste et sans vergogne atteste des rôles tenus. La scène, ou la caméra s'approche doucement de ce même Proté, qui sourit de dépits, qui en soupirs, m'a vraiment percuté.
La nuit passe, sa marque reste, brille même à la lumière du jour. Les cadavres de ces animaux nous le rappel, si t'en est, les colères de Madame nous les faisais pas assez durement comprendre. Les directives, les plaintes de cet ancrage qui lui déplait, souligne sa détresse, au moins autant que sa marque sur son sujet. Car il y'a une autre violence qui pointe le bout de son nez entre ses deux là qui dépasse le cadre, qui rogne les bords, dans une sensualité qui se manifeste lors de cet instant qu'il partage, dans cette petite aide pour ajusté la robe de celle-ci. Bref moment, du moins à cet instant du récit. Très vite, les manifestations de souffrance reprennent chez l'homme à tout faire de la maison. Les coups de pieds dans les sceaux, comme ses larmes qu'il étouffe lors de sa toilette sont des preuves de ce qu'il se résout en endurcir, dans une peine qu'il rejette mais qui le gagne toutefois.
Un autre élément déclenche un bouleversement dans la continuité narrative de cette histoire. L'arrivée de cet avion en perdition, de son équipage notamment. Delpich en premier lieu. Celui-ci, bien acclimaté au règle de la colonie ne s'embarrasse pas de politesse, au contraire, il témoigne de son mépris, s'en félicite. Les autres sont dans au départ, plus nuancés, néanmoins ils et elles se démontreront tout aussi décomplexés sous l'impulsion du marchand de café. La séquence des Blancs à l'ombre, qui critiques les Noirs en plein cagnard, dans l'effort, moins denses selon eux pour cause de ramadan n'a pas besoin d'autres explications que ce que donne clairement à voir la situation mis devant nous par une Claire Denis qui va de suite poursuivre. Les pachas qui s'attablent, qui mystifient leurs avis, dans une véhémence à l'égard du pays qu'ils occupent démontre une insoutenable position de supériorité, une injustice qui pousse à vraiment subir ...
Toutefois, un personnage déroge à cette vision. Luc, plus enclin à mettre la main à la pate, qui dort et qui se lave en dehors de sa caste dénote dans le paysage. On comprend très vite, comme Proté, qu'il s'agit là d'une expérience sur fond de réflexion qui tourne à l'imposture. Une fois habillé, il se comporte comme les autres, voir pire encore ...
La venue du médecin, pour soigné une visiteuse malade est un pic en matière de haine ! Rejeté et humilié, lui que l'on a dépêché à la hâte, s'en va à pied sous des rires qui révèleront une vérité à part entière. Cette conversation, à de quoi interpellé, pour le récit aussi. Luc, encore lui décante celle-ci par ses initiatives, provocations, agressions !
J'en reviens au rapprochement entre Proté et Aimée. Dans cette même chambre, ou elle lui passe sa main sur sa cheville, comme une affection qu'elle assume enfin. Que lui repousse, dans un geste plein de vindicte pour celle qui lui coute tant ! La demande qui suit de cette femme éconduit à son mari est lourde de sens, ses mots bien choisit. Une fois de plus, il se fait avoir par tous. L'ultime blessure que partage cet homme avec la petite France, achemine le souvenir.
La main adulte que l'on retrouve, des stigmates du temps bouleversent autant.
Un mot maintenant pour ses comédien.e.s. Isaac de Bankolé, pour débuter. Il est édifiant de contrition, de blessure qu'il cadenasse, il porte ce regard, cette tristesse avec une grandeur folle ! François Cluzet, signe lui aussi de sa trempe ce film. Lui que je connais moins sous cet angle, triomphe d'humilité. Giulia Boschi, magnifique à bien des égards elle aussi contribue à rendre ce film si spécial. Les autres sont à bluffant, tous.
J'insiste sur le fait que le film traite d'une dureté, d'un mal profond, de douleur avec une charge manifeste. Il y'a toutefois de la retenue, une compréhension. J'en reviens à son rythme, que j'ai pu accusé plutôt. Il sert au fond, au service du temps qui laisse de l'espace pour que l'on puisse accepté que le vernis s'écaille. Que sa nature n'est cruel que dans le traitement de valeur intrinsèque d'une supériorité présumé ... Le regard de la petite fille devenu grande, qui reviens là ou sa vie débute en est sa justification la plus remarquable. Sa première scène n'en est que plus exaltante ! Cet Américain, de surcroit se trompe ... Non ?