Dans une carrière, il y a les marottes et les anomalies. Chez Adrian Lyne, les plus grands succès jouent avec les notions de corps et de perversion (Flashdance , 9 semaines et demi , Liaison Fatale , Proposition Indécente , faîtes votre choix). Cependant, son plus grand accomplissement est un thriller psychologique aux confins de la folie, dans la droite lignée d'un Angel Heart ou L'antre de la folie. Son nom ? L'échelle de Jacob.
Pour l'anecdote, il est à noter que Bruce Joel Rubin est à l'origine de deux scénarios qui feront les beaux jours de l'année 1990 avec Ghost et celui-ci. Grand écart ? Pas vraiment, il y a quelques passerelles entre ces deux concepts finalement aussi dissemblables que complémentaires. En premier lieu certaines idées fixes autour de la mort (l'après, le purgatoire, la résilience,...).
Jerry Zucker a simplement choisi de faire obliquer le voyage de son héros vers la comédie dramatique, quelque chose de plus lumineux. Jacob's Ladder (bien nommé d'après l'épisode Biblique) entend plutôt descendre vers l'obscurité.
L'objet est d'abord un petit miracle de mise en scène. Adrian Lyne a compris le défi posé par ce récit gigogne, voyant chaque scène "normale" piratée par un ou plusieurs éléments bizarres, d'ordre visuel ou simplement narratif. Un jeu de rebonds faisant passer le film d'une réalité à une autre, jusqu'à amener naturellement son spectateur à douter (et reconsidérer) de tout ce qu'il voit.
On peut dire sans se tromper que Lyne n'a jamais été si maître de sa caméra. La scénographie et l'utilisation des décors met le public sur un pied d'égalité avec Jacob (Tim Robbins, formidable) : on a la fièvre.
L'appartement, les bureaux, le bar, le métro, la jungle, tous les endroits arpentés nous sont inhospitaliers. Même les repères supposés inamovibles (la petite-amie, le copain chiropracteur) seront utilisés pour déboussoler encore plus. Un labyrinthe cauchemardesque, duquel émerge des visions terrifiantes et un sensation d'infonfort persistant. Fans de Silent Hill, ses racines ont pris ici. On rate de peu le classique absolu, en raison d'un final étonnamment facile. Or, ce genre de propositions trouve son sel quand elle garde un soupçon d'incertitude.
Adrian Lyne ne reviendra jamais à ce genre d'opus atypique, le cinéaste retournera gentiment vers une zone de confort dont on sera bien en peine d'extraire un quelconque trésor. De son côté, Bruce Joel Rubin ressassera quelques obsessions dans le blockbuster Deep Impact ou la bluette Hors du Temps. Coup d'éclat orphelin dans ces deux carrières, L'Échelle de Jacob aura néanmoins su inspirer plusieurs générations à la gravir pour mieux la faire passer à postérité même par procuration.