L’histoire de « Poil de carotte », roman, puis pièce de théâtre, de Jules Renard, inspira fortement Duvivier qui pensait que c’était ce qui avait été écrit de plus bouleversant. Cette résonnance particulière trouvait un écho aux relations entre le très austère et rude père Duvivier avec son fils. Le scénario de Jacques Feyder, après une mise en place fidèle au roman, donne plus d’importance au personnage d’Annette, la nouvelle bonne, d’autant plus que l’ancienne, Honorine, a disparu des radars comme la perfide et cruelle scène de son renvoi qui par la même occasion servait de révélateur à l’odieuse personnalité de Madame Lepic. Cette dernière, laide et affublée de moustaches, est donc présentée comme la figure de proue des commères persifleuses du village. S’étalant sur une heure quarante huit (la plupart des films français de l’époque ne dépassent guère une heure et demie), le déroulé s’attarde un peu trop sur l’histoire du frère manipulé par une grue vénale et la fin, mal scriptée, est balourde et semble interminable. S’ajoutant à un casting inégal, à commencer par le gesticulant mais touchant André Heuzé dans le rôle titre, ainsi que les transparents Fabien Haziza (Félix) et Renée Jean (Ernestine), et, à l’opposé, Charlotte Barbier-Krauss (la mère), enlaidie, apporte puissance et nuances dans un personnage qu’elle interpréta au pied levé, remplaçant au dernier moment l’actrice prévue qui du quitter le plateau pour des raisons de santé. Lydia Zaréna (Annette) et Suzanne Talba (Maria, la garce) offrent également une prestation de qualité ainsi que, dans un degré moindre, Henry Krauss dans le rôle du père. La mise en scène est très datée, l’attention portée à la composition des plans (les Alpes, très photogéniques) primant sur le mouvement et donc l’action. La version disponible actuellement bénéficie d’une musique intéressante que Gabriel Thibaudeau composa en 2007. Quand au coloriage, il ne s’imposait pas. La version sonore, que Duvivier réalisa en 1932 à partir de son propre scénario, est nettement supérieure à celle ci.