Resnais - Duras - Riva. Un trio exceptionnel, qui avec "Hiroshima, mon amour" invente un objet cinématographique à l'époque totalement nouveau, qui garde encore aujourd'hui toute sa modernité. A son début de carrière, Resnais s'affirme comme le cinéaste de la mémoire et de son pendant indissociable, l'oubli - car, faut-il le rappeler aux intégristes du "devoir de mémoire", l'un ne va pas sans l'autre. "Hiroshima, mon amour", comme "L'année dernière à Marienbad" qui suivra, est un plongée dans les arcanes du souvenir, une résurrection des traumatismes passés pour en tirer la substance d'une vie future. C'est l'histoire d'une rencontre au-delà des barrières, un plaidoyer pour le franchissement des limites conventionnelles, un cri de liberté: Riva, ancienne gamine de Nevers tondue à la Libération pour être tombée amoureuse d'un soldat allemand, devenue mariée et mère de famille, tombe dans les bras d'un architecte japonais (donc, issu aussi du "camp d'en face" de la guerre), également marié. Cette "liaison de 24 heures" (c'est le titre du film en version japonaise) est une parenthèse, une brèche dans l'existence qui permettra un retour sur les déchirures enfouies. Une catharsis rendue possible par le lieu exceptionnel où elle a lieu: Hiroshima, lieu du cataclysme fondateur de l'époque contemporaine, une ville où la mémoire n'est pas un concept un peu abstrait, mais un enjeu brûlant, pour lequel les gens se battent. On retrouve en filigrane l'expérience autobiographique de Marguerite Duras ("L'amant"), dont le texte à la scansion si particulière est l'élément central du film. Emmanuelle Riva est inoubliable, avec sa voix profonde, rauque et souple. Son jeu, éminemment théâtral, ne cherche jamais le naturel (faux procès qui lui est fait par certains critiques sur ce site), mais la vérité du texte, dont il épouse à la perfection les inflexions, les riches sonorités et les rebonds. Face à elle, Okada Eiji, qui ne parlait pas français, est pour cette raison même un coup de génie. Sa diction mécanique, littérale, presque incantatoire, s'inscrit parfaitement dans l'esprit du texte durassien. Resnais, enfin, étonne par la fluidité de sa caméra, les perspectives qu'il trouve (les plans dans les escaliers de l'hôtel!), l'entrelacs qu'il réussit entre la grande Histoire et l'histoire des individus (la géniale séquence inaugurale, où des images du bombardement alterne avec celles du couple enlacé), la présence qu'il confère aux villes de Nevers et Hiroshima (ses lents travellings, ses successions de plans fixes... un style qui influencera Duras elle-même quand elle tournera "India Song" ou "Son nom de Venise dans Calcutta désert"). Aidé par la superbe partition de Georges Delerue et Giovanni Fusco, il crée de toutes pièces une atmosphère étrange, onirique, planante mais d'une très grande intensité. "Hiroshima, mon amour": un grand film, encore et toujours d'actualité.